C’était une douce nuit d’hiver quelque part dans les années 90. Je ne sais plus trop pourquoi je m’étais retrouvé dans cette ruelle sombre en pleine nuit, j’avais probablement cru y voir un raccourci vers chez moi, toujours est-il que je n’étais pas vraiment rassuré par l’ambiance étouffante qui y régnait. Je pensais n’en avoir que pour une dizaine de secondes à la traverser de part en part, et pourtant plus j’avançais et plus j’avais l’impression que le lampadaire situé à l’autre extrémité s’éloignait de moi.
Tout ceci était décidément bien étrange, je me commençai alors à me dire qu’il serait peut-être temps de faire demi-tour. Cette ruelle n’était qu’une ruelle, mais un sentiment irrationnel me tenaillait. Mais alors que je me retournais pour rejoindre mon point de départ, j’aperçu une paire d’yeux qui m’observaient dans la nuit. Des yeux totalement bleus, brillant d’une lumière intense. Alors que je retirais mon walkman je m’aperçu qu’un genre de grognement venait du même endroit, accompagné d’un grincement métallique. Et que des bruits identiques venaient aussi de devant moi.
C’est là que je commençais à paniquer, je ne cherchais pas à savoir ce qu’étaient ces choses ni comment elles s’étaient retrouvées là, il fallait juste fuir le plus vite possible. Je repérais une petite ouverture au pied d’un mur, une fenêtre cassée menant à une cave. Ni une ni deux, je me laissai glisser dedans, juste à temps pour esquiver deux énormes paires de mâchoires en métal semblables à des dragons asiatiques couleur acier se refermer là où se trouvait ma tête quelques instants plus tôt.
Après quelques secondes d’acharnement je vis mes agresseurs s’éloigner doucement, trop gros pour le petit interstice par lequel je m’étais échappé. Quelles étranges bêtes, ce genre de chose existait-il vraiment ? En tout cas cette sortie était bloquée. Je regardais autour de moi pour me retrouver face à un spectacle encore plus troublant. La pièce quand laquelle je me trouvais ressemblait à une salle d’arcade, mais abandonnée depuis des années. Il ne s’agissait pas des dernières sorties, c’est le moins qu’on puisse dire. Du Tetris, du Pong, et d’autres curiosités d’un autre temps, le tout faiblement éclairé par quelques néons bleus et violets.
Je déambulais quelques minutes dans la pièce à la recherche d’une issue, quand quelque chose attira mon regard vers un coin de la pièce. Une borne, beaucoup plus grosse que les autres, la seule n’étant pas recouverte d’une épaisse couche de poussière, mais surtout la seule étant en fonctionnement. L’aspect de la borne était exubérant comme jamais je n’en avais vu. Des couleurs néons partout, et surtout un énorme dragon dont la gueule grande ouverte contenait l’écran. Sur cet écran, un écran noir seulement orné d’un « PRESS START » et d’un énorme logo stylisé composé de deux lettres : un D et un F mis côte à côte.
Je devais quitter cet endroit pour échapper à mes poursuivants, mais allez savoir pourquoi, je me dis que c’était une bonne idée de lancer une partie à la place, comme si j’étais irrésistiblement attiré par ce jeu. J’appuyais sur le bouton start, et quelques lignes de dialogues apparurent. Elles m’expliquaient que j’étais le dépositaire d’un pouvoir appelé la « Dragonforce » et qu’avec son aide je devais retrouver un artefact appelé la « Frozen Crown » retenu par la terrifiante « Athanasia ». Ou peut-être qu’Athanasia était une alliée, je ne sais pas vraiment, le texte était très confus. Alors que je m’approchais pour essayer d’y voir un peu plus clair, le texte changea soudain pour un imposant « READY TO STRIKE INTO THE FUTUR ? ». Avant que je comprenne de quoi il s’agissait, le dragon s’anima. Ses yeux prirent la même couleur que ceux des créatures au dehors et j’eus juste le temps de lire le « WELCOME TO 2020 » qui s’affichait à l’écran avant de me faire gober d’une seule traite et de me retrouver à accélérer dans un quadrillage violet sur fond noir s’étendant à perte de vue. Je vis presque 30 ans d’histoire du monde défiler sous mes yeux en un instant et me retrouvais subitement dans un RER futuriste, bloqué à la gare d’Issy, en retard pour le concert de Dragonforce à la Machine du Moulin Rouge.
- ATHANASIA -
[Le paragraphe qui suit sera malheureusement d’une piètre qualité puisque je n’ai pas pu assister au concert d’Athanasia. En cause un no-name quelconque qui s’est dit que c’était une bonne idée d’aller faire du moonwalk sur les voies du RER C un mardi soir et ainsi de bloquer totalement la circulation pendant 50 minutes, me faisant rater ce court premier set de la soirée. Les informations utilisées sont donc toutes de seconde main, recueillies par ma meilleure acolyte de petite taille (à savoir Farah, notre photographe préférée). Donc focalisez-vous sur les photos, a priori ce sera mieux]
Un début de soirée timide avec les suédois d’Athanasia et leur metal aux influences diverses, tant modernes que classiques. Le groupe fait son entrée sur l’hymne national américain avec une bonne dose d’ironie et entame une demi-heure de set avec entrain. Le trio en costume de cuir dégage une bonne énergie, notamment le bassiste surmotivé cherchant sans cesse le contact avec la foule. De son côté le guitariste et chanteur lead a plus de mal à conserver sa justesse sur les parties en chant clair, et semble moins à l’aise que son comparse.
La foule a du mal à se laisser emporter par la musique du groupe, comme souvent à cet horaire. Il faut dire aussi que la performance n’est pas forcément des plus prenantes. Le groupe semble avoir du mal à s’imposer et montre un certain amateurisme tant dans la propreté de l’interprétation que dans le jeu de scène. D’un autre côté on ne peut pas vraiment en vouloir à une formation si jeune et probablement dans sa première tournée internationale de bégayer quelque peu sur scène.
La performance n’est malheureusement pas à la hauteur du potentiel du groupe dont l’unique album studio semble pourtant prometteur. Cette tournée était peut-être trop ambitieuse à ce stade de leur carrière naissante, et je vous conseillerai plutôt de vous pencher sur leur travail en studio en laissant encore quelques années de gestation à la formation pour atteindre sa pleine maturité.
Les italiens de Frozen Crown débutent leur set en retard à la suite de quelques menus problèmes techniques (l’absence de son dans la façade en fait). Rien de bien grave, mais ce petit délai aura malheureusement des répercussions sur le son durant tout le set, l’ingé son étant visiblement en train d’affiner sa balance en permanence.
Le groupe interprète un Power Metal assez lambda dans la lignée d’un Seven Kingdoms, assez mal servi par les problèmes de son décrits plus haut. En tout début de set la voix de la chanteuse est totalement inintelligible et la batterie recouvre tout donnant une impression de fouillis peu agréable à l’oreille. Mais fort heureusement ces problèmes se règlent bien vite et le public peut profiter pleinement de ce show qui, malgré ces quelques difficultés techniques, ne manque pas de qualités.
De la même manière qu’Athanasia, Frozen Crown donne l’impression d’un certain amateurisme dans l’interprétation, mais plein d’une insouciance qu’on ne peut que partager. Tous les musiciens ont l’air de s’éclater sur scène et de communier avec le public, malgré un manque de dynamisme chez la chanteuse ayant beaucoup de mal à s’imposer dans son rôle de frontwoman. On notera également la présence d’une deuxième femme dans la formation, la guitariste âgée d’à peine 19 ans Talia Bellazecca qui assure le show comme jamais, avec à ses côtés le monstre de charisme faisant office de bassiste.
Frozen Crown nous régale pendant une demi-heure de ses mélodies épiques portées par la voix de sa chanteuse parfois rejointe par le guitariste pour de magnifiques harmonies. Tous les musiciens ont un jeu efficace et propre, réussissant à tenir même sur la longueur le rythme effréné propre au style qu’ils interprètent. Tout le groupe a l’air de passer un excellent moment sur scène, comme un groupe de jeune ayant monté le projet dans leur garage, et le public s’y laisse prendre. Les problèmes de son du début ne sont bientôt plus qu’un vague souvenir (à l’exception notable de la caisse claire au son immonde et 3dB au-dessus du reste de la balance dont on ne se débarrassera pas jusqu’à la fin du set) et on ne peut que se laisser emporter par l’épopée que nous propose Frozen Crown.
Setlist :
- Artic Gales
- Neverending
- In the Dark
- Everwinter
- Kings
- I am the Tyrant
- The Shieldmaiden
Quoi de mieux pour un groupe prétendant être le plus rapide du monde que de commencer son set dans l’urgence ? Toute l’équipe s’affaire sur scène pendant le changement de plateau afin de rattraper les quinze minutes perdues au début de Frozen Crown, à tel point que des techniciens sont encore en train de dévoiler l’immense tête de dragon posée en fond de scène alors que les lumières sont éteintes et la bande d’intro lancée. Mais the show must go on, et le décor est finalement prêt à temps.
Et quel décor mes aïeux. Au-delà du mur de LEDs en fond de scène utilisé pour projeter toutes sortes d’animations tout au long du concert (mais nous y reviendrons), quelques praticables servent à surélever l’arrière du plateau et à soutenir l’immense tête de dragon mentionnée plus haut, mais également une impressionnante batterie constituée d’une seule pièce aux formes galbées, derrière laquelle on peine à apercevoir le batteur. Pour parachever cette installation colossale à l’échelle de la petite scène de la Machine, le plateau est flanqué de deux énormes bornes d’arcade faites main par Hermann Li en personne, dans son garage.
Quoiqu’il en soit, les membres du groupe montent sur scène successivement sous les acclamations du public jusqu’à ce que le set ne démarre sur Highway to Oblivion issu du petit dernier du groupe, Extreme Power Metal. Il me faut quelques secondes pour comprendre d’où vient le son des guitares avant de m’apercevoir dans un élan de joie brute que les deux compères sont perchés au sommet des bornes. Et c’est tout ce que sera ce show, une série de moments d’euphorie incrédule face à tout ce que nous réserve le groupe londonien.
C’est également pour nous l’occasion de découvrir sur scène la remplaçante de Frédéric Leclercq à la basse, Alicia Vigil. Et le moins qu’on puisse dire c’est que le groupe a eu le nez creux en la choisissant pour ce poste. Alicia ne fait pas dans l’extravagance et se contente de jouer les compositions de son groupe d’adoption en étant simplement là. Mais cela suffit à lui faire prendre toute la place sur scène. Elle n’est pas dans l’exubérance, pas dans le show, mais ce qu’elle fait paraît si naturel qu’on dirait qu’elle n’y pense même pas.
Le reste du groupe n’est évidemment pas en reste, Hermann Li en tête toujours souriant en enchaînant ses solos toujours plus rapides et impressionnants. C’est également l’occasion pour le guitariste qui a vécu à Clamart pendant quelques années de parler français à la foule, s’occupant de toute les adresses au public à la place du frontman Marc Hudson, bien content de ne pas trop se fouler le soir de son anniversaire.
Le set regorge de surprises comme un impressionnant machinima de Skyrim sur The Last Dragonborn, ou un hommage complètement barré à Farming Simulator avec en featuring les guitaristes de Frozen Crown et surtout Sam Totman habillé en pêcheur à la mouche au banjo dans un morceau de country (vous avez bien lu), une coupure pub avec une série de spot pour la Master System de SEGA, ou encore un medley de thèmes vidéoludiques à la guitare joué par Marc Hudson revenant à sa première passion.
L’humour est aussi omniprésent, les musiciens se payant la tête les uns les autres (Sam portait un t shirt avec marqué en gros Lee sur la poitrine, et Marc un autre avec le logo d’une marque de sauce soja, fin et subtil). En même temps qu’attendre d’autre d’un groupe ayant des porte-gobelets sur ses pieds de micro ? La plupart de l’alcool présent sur scène sera d’ailleurs réquisitionné par Sam Totman, mais sans jamais entamer son jeu de guitare (jouer le solo de Through the Fire and the Flames ivre, ça demande un certain niveau de style), mais au grand dam de ses camarades.
Parce que finalement c’est ça Dragonforce, juste une bande de potes avec un gros brin d’autodérision, et un niveau de jeu hallucinant. Le set continue son chemin à travers un mélange de classiques et de nouveautés. Petit pinacle de l’incrédulité sur Valley of the Damned en toute fin de set quand Li, Totman et Vigil forment un triangle sur le devant de scène et commencent à jouer un riff… avec chacun la main gauche sur le manche de son voisin. Ce morceau sera aussi accompagné de la projection d’un jeu de course factice dans une ambiance synthwave, drôle d’alliance avec la vallée des damnés mais pourquoi pas !
Enfin vous l’aurez compris à ma narration décousue, ce set était une escalade bien trop incroyable pour être simplement racontée ici. Le concert finit sur le « circle pit romantique » commandé par Hermann Li sur la reprise de My Heart Will Go On, puis sur une interprétation magistrale de Through the Fire and the Flames qui commence sans Hermann Li avant que celui-ci ne réapparaisse subitement SUR LE BAR pour jouer sa partie.
Un show grandiose, sans limites, servi par une bande d’adolescents d’entre 30 et 40 ans débordant d’une joie de vivre qui contamine tout le public sans problème dans l’ambiance intimiste de la Machine du Moulin Rouge, Dragonforce est à l’image de son dernier album : extrême, rapide, flashy, et avec une solide dose d’autodérision. Et comme je l’avais dit plus tôt :
« Le dernier album de Dragonforce c’est Gloryhammer, mais pas fait exprès »
Setlist :
- Highway to Oblivion
- Fury of the Storm
- The Last Dragonborn
- Ashes of the Dawn
- Heart Demolition
- Video Games Medley
- Banjo Time (w/ Frozen Crown)
- Black Fire
- Razorblade Meltdown
- Cry Thunder
- Rememberance Day
- Valley of the Damned
- My Heart Will Go On
- Through the Fire and the Flames
#tut#
#tut#
#GAME OVER#
Je revenais à moi en sueur, toujours dans cette étrange cave. Combien de temps avais-je passé dans la borne ? Je l’ignorais. Aucune lumière ne venait du dehors, et pourtant j’étais aveuglé par quelque chose. Une lumière chatoyante venait du fond de la salle, et une silhouette se dessinait en son sein. Une coupe mulet, une veste en cuir, une aura de sympathie et un micro. Je restais subjugué par cette apparition, quand soudain résonna dans ma tête cette simple phrase : « Ça va les copains ? ».
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