23h12 - Odéon

La bouche de métro m'aspire. Ligne 10. Direction Boulogne.

Je passe mon pass sur la borne électronique. Le bip strident retentit. Je fais claquer le tourniquet sur la porte. Le bruit métallique me dessoûle. Un peu. Je m'assois. Au milieu du quai. Près d'une femme. Je m'assois toujours près des femmes.

Deux hommes nous rejoignent. Ils prennent place à ma droite, à une distance respectable. L'un gravement éméché au point de tenir des propos incohérents concernant le flyer qui vient de lui être remis. Reggae Dub. Je parviens à lire à travers le feuillet orange. L'autre homme l'écoute. Serein, il essaie de pondérer les propos désabusés de son camarade concernant ce type de musique dont je n'ai que récemment compris l'origine du flow. C'était entre Duroc et Liège. Ligne 13.

Courant d'air ; un vacarme assourdissant annonce l'arrivée du métro. J'étais assise près de la porte qui ne s'ouvre pas. Celle du mauvais côté du quai. Ou du bon, c'est selon si l'on souhaite être dérangé par la bouffée d'air de l'ouverture répétée à l'infini de la porte ou pas.

J'écoutais Bob Marley. Elle devait écouter de la techno. Son casque Philips, énorme, gigantesque, lui mangeait le visage. Il lui recouvrait la face comme une de ces bêtes que l'on voit dans Alien au début de chacun des films.

Son casque s'est mis à l'étreindre à tel point qu'elle en rougissait. Elle étouffait et ne parvenait pas à l'enlever, mais n'essayait pas pour autant. J'ai ouvert la bouche. Comme pour dire quelque chose, pour protester. Mais aidez-là ! Mais non. Je suis restée muette. « Get up stand up » me criait-il dans les oreilles. Mais non. Elle saignait du nez tant la pression était insoutenable. Je l'observais mourir sous les assauts de son casque qui exerçait sur elle une pression mécanique et rythmée au son de sa musique. Ses yeux ne tardèrent pas à se révulser. Elle restait là. Assise. Sans bouger. A soupirer de l'inconfort que lui procurait l'arrivée mouvementée d'un grand noir dont la paume des mains dépassait la longueur de mon tibia.

Les os de la jeune femme ne tardèrent pas à se rompre sous la pression. Le bruit excitant du broiement procurait en moi la même satisfaction malsaine que j'éprouve à observer mon voisin se masturber. Le sang coulait des commissures de ses lèvres. Elle ne s'en remettrait vraisemblablement jamais. Pourtant elle restait droite. Toujours à maugréer contre le grand noir d'en face.

Je descends. Impuissante. Je suis le flow comme inconsciente. « Stir it up » se lamentait-il alors.