Nous sommes le 6 mars 2018. J’ai rendez-vous à 18 heures dans la ville de mon enfance. J’ai vécu plus de 20 ans en région lausannoise. Depuis maintenant 6 mois, je vis à l’extérieur d’un petit village de montagne, 900 habitants. 10, c’est la moyenne de personne que je vois par jour. Ici les salutations sont requises en tout instant que l’on connaisse ou non l’homme ou la femme que nous croisons.
12h15
J’entre dans le train. Je traverse le wagon. J'ai déjà vu plus de gens que durant toute la semaine dernière. Fini les salutations. Chacun est dans son coin.
13h01
13h05
Au bout du tunnel un père avec ses deux fils m’interpelle. C’est un touriste. “...Central Exit ?” Je ne cherche pas à comprendre. Je lui fais “oui” avec un signe de la tête. Je continue ma route. Sorti de la gare, je m’engage “Rue du petit chêne”. La pente est rude.
Sources : google map
13h11
Je suis plus ou moins à la moitié de ma peine. Je ne vois pas encore le bout de la rue. Sur ma droite, je croise le regard d’un mendiant. Il est assis au sol. J’imagine le froid au contact du sol. Il me ressemble. Même âge, un visage jeune, ça pourrait être moi. Il voit que je le regarde.
- Salut mec tranquille ?
Aucun accent, le même vocabulaire que j’utilise. Ça pourrait vraiment être moi. Je tressaille. Je baisse la tête et réponds à peine à son approche. Je fuis. Dans mon sac, j’avais du pain et du fromage. J'aurais pu m'arrêter et le manger avec lui, mais je ne me suis même pas arrêté. Mes vieux réflexes de citadins sont bel et bien revenus. Je m’en veux. “J’en avais trop en plus.” pensais-je. Je rouvre ma veste. Je veux sentir le froid. Savoir ce qu'il ressent. J'arrive enfin en haut de la rue. Lausanne ça monte de ouf, on en prend conscience quand on choisit de ne pas utiliser les transports.
En traversant le passage clouté, je croise le regard du chauffeur d'un bus. Je le regarde trop longtemps. Il paraît surpris. Je m'arrête quelques pas plus loin pour écrire ces premières lignes.
Je reprends ma route, quelle route ? Une au hasard. Je marche vers l'église Saint-François. Je la connais bien, mais je ne l’ai jamais observé comme aujourd’hui. J’ai un lacet détaché. Je choisis cette fontaine pour le rattacher.
Je prends la photo de l’église et de la fontaine. Il y a beaucoup de gens autour. Je suis gêné. C’est la troisième que je prends. Je me rends compte que je n’en ai pas de la gare. Je choisis de redescendre pour en prendre une, mais par un autre chemin. Je ne veux pas recroiser mon mendiant.
Sur ma route, je croise plein de jolies filles. Elles sont en groupe. Elles rigolent, sourient, parlent. Je me demande ce qu’elles disent. Est-ce qu’elles me voient ? Ça n’a pas d’importance aujourd’hui.
J’ai faim. Je m’arrête par hasard devant l’Été. Je mange mon pain et mon fromage en regardant les vas et vient des gens. Il y’en a bien moins que dans les zones populaires. J’ai plus de temps pour les observer. Ils sont tous leurs buts en tête. Je les envie. Je continue à écrire. Je ne veux rien oublier.
Une personne âgée en vélo me passe devant. Je prie pour qu’elle ne chute pas. Ça n’arrive pas. Je n’aurais pas su que faire. Une femme sort de l’immeuble. Elle porte une attelle et boîte. Son chien, lui, court partout.
J’ai froid. Pourquoi, ma veste est ouverte ? C’est ridicule. Je la ferme et reprends ma route.
14h15
J’arrive devant la gare. Je prends la photo. Il commence à pleuvoir. Ça fait plus d’une heure que je marche. Il me faut un café. J’aimais bien aller au Café des Artisans. J’y arrive à 14h35.
source : http://www.restaurantslausanne.ch
14h35
Je choisis une table au centre, proche du bar. En temps normal je me serais mis le plus au fond possible. Mais aujourd’hui ça ne tourne pas rond. J’ai dans la tête comme un brouillard d’automne. Je commande un café. Un café dans un Café. J’ouvre mon livre. Je suis à la page 431 du tome 1 de “L’idiot” de Dostoïevski”. Il a 486 pages. Je me fixe de le finir avant de partir à mon rdv de 18h. (je viens de me souvenir de la raison de ma venue à Lausanne. Je lis. De temps en temps, je lève la tête et observe autour de moi. En face de moi, il y a d’abord une mère et son fils. Je comprends qu’ils sont allés faire des courses. Le gosse paraît avoir 14 ou 15 ans. L’expression de son visage transcrit l'extrême inverse du sourire. Je me souviens de ma vision des choses à son âge. Il doit avoir la même que moi. Ils ne se parlent pas. La mère commande un cappuccino, son fils un café. Ils finissent vite et partent.
Le temps que je commande un autre café, c’est une bande de sexagénaires qui prirent leurs places. Elles sont six. Elles parlent pour tout le Café. Leurs discussions suscitent de vives exclamations. Quelque chose me dérange profondément. Sur les six, il y’en a une qui paraît plus âgée. Les cinq autres lui parlent avec un ton plus enfantin, comme plus condescendant. Comment peut-on parler ainsi à une personne qui a plus vécu que soi ?
16h32
Il me reste 11 pages. Je ne veux plus rester. Je vais au comptoir pour payer. Le serveur me dit : “Désolé pour la musique, j’aime la mettre plus forte l’après-midi. C’est pas facile pour lire.” Je n’avais même pas réalisé.
Je me rends à la libraire de la Louve à quelques pas de là. Ce sont des livres d’occasion qui y sont vendus. J’aimais bien y venir. Je fouine à travers les tas de livres. L’odeur des vieux me livres me rappellent pleins de souvenirs. Je finis par arriver à l’étagère “Psychologie”. À la lettre F, il y a un nombre incroyable de livres de Freud. Attention pas écrit par Freud, mais sur Freud. Je me fais une réflexion. Ça doit être dur à encaisser de faire l’effort d’écrire un livre, mais qu’en bibliothèque il ne se retrouve pas à la lettre de notre nom, mais à celle du sujet.
17h15
Je sors de la libraire et me rends sur le lieu de mon rdv. Je suis en avance. J’en profite pour écrire ce que je viens de vivre. Mon Rendez-vous se passe comme prévu. En 45 minutes, c’était terminé. Il est l’heure de rentrer.
19h01
Je me rends à la gare. Je reprends une photo. Je suis en avance. Je pense à ma journée. Le train arrive avec 5 minutes de retard. Je monte et mets mes écouteurs. J’écoute "Primavera" de Ludovico Einaudi.
Le train part à cette seconde pile.
Merci de m’avoir lu.
Merci de nous avoir partagé cette escapade @estoy.
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De rien :) C'était une expérience sympathique d'essayer de retransmettre ma journée par heure.
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Il est agréable ton style d'écriture.
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Merci :) Je m'améliore gentiment hehe
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