La salle de sport et le sortilège d’invisibilité

Docteur,

Je me permets de revenir vers vous suite à votre dernière prescription. Vous souhaitiez que je renoue avec une pratique sportive régulière afin de lutter contre les fléaux qui me guettent dangereusement : embonpoint, sédentarité et l’aigreur qui va souvent avec l’âge.

Vous connaissez mon sérieux et mon caractère appliqué Docteur. Aussi, à l’issue de cette consultation, je n’ai pas tergiversé plus longtemps avant de chercher le club de sport qui saura me remettre sur le droit chemin : « Mens sana in corpore sano ».

La tâche ne fut pas aisée, en effet, d’emblée mon sens de l’orientation fût mis à rude épreuve. Figurez-vous que le club de sport, de la petite contrée qui est la mienne, n’a pas d’adresse référencée, après vérification il en va de même pour le Stade de France à Saint-Denis, il faut y voir la marque des champions sans doute. Ma première épreuve consista donc à me livrer à une course d’orientation qui me conduisit dans divers chemins de terre pour finir au beau milieu d’une cour de ferme. Des âmes peu charitables me suggérèrent alors que le club de sport faisait peut être l’objet d’un sortilège d’invisibilité et qu’il n’apparaissait qu’aux sportifs aguerris…

À l’issue de cette course d’orientation, je fus reçue au club par une célébrité grecque, quoi de plus naturel me direz-vous pour faire ses premiers pas en Olympie. Cassandre m’accueillit très chaleureusement, nul mauvais présage à l’horizon. Comme elle, je souhaitais désormais honorer Zeus dignement, l’adoration de notre Dieu devait nous réunir autour d’une même ferveur sportive.

Docteur, il m’est apparu d’emblée que la population qui fréquente cette salle de sport doit bénéficier d’un suivi médical beaucoup moins indulgent que le mien, qu’avez-vous fait pendant toutes ces années? Au premier coup d’œil, je n’ai vu que bras musclés et jambes affutées, cette salle est exclusivement fréquentée par des personnes qui n’ont rien à y faire. Une idée m’a alors traversée, peut-être souffrent-ils d’autres maux ? Mes premières auscultations me conduisent à vous soumettre les diagnostics suivants :

• Daltonisme : Docteur, les tenues vestimentaires portées par ces individus ne laissent aucune place aux doutes, j’en veux pour preuve que les leggings des adorateurs de Zeus présentent une fluorescence distincte par muscle galbé ! Je sors généralement de la salle avec une terrible migraine ophtalmique.
• Surdité : Mes condisciples souffrent d’une surdité évidente, le volume sonore dans cette salle de sport est tel, que parfois je ne sais plus si je ressens les pulsations de mon cœur défaillant ou de la musique ambiante !
• Addiction : Quelque soit l’heure et le jour de ma venue au temple du fitness, je croise invariablement les mêmes visages concentrés, venus chercher leur dose d’endorphine.
• Amnésie : Je dois vous confesser Docteur que je m’inquiète d’une éventuelle défaillance de la mémoire chez certains adorateurs de Zeus, ont-ils perdu toute conscience de leur âge ? À 70 ans passés est-ce uniquement un réflexe pavlovien qui les conduit vers ce lieu de torture qu’ils fréquentent assidûment depuis plus de 20 ans ?

Par ailleurs Docteur, je souhaitais recueillir votre avis concernant les effets secondaires de ce traitement. Dans les moments d’adoration les plus intenses, lorsque la sueur imprègne mon legging bariolé, je suis victime d’hallucinations. L’autre jour, le cousin de Cassandre, un certain Apollon ou quelque chose comme çà, m’encourageait à m’hydrater davantage et à la seule évocation de ce terme, l’image du mojito savouré la veille au soir m’est apparue et ne m’a plus quittée. Plus tard, je crus entendre Apollon me venter les bienfaits des « Kinders », faisait-il référence à mes futures tablettes de chocolat ? Il s’agissait là d’une nouvelle hallucination auditive, Apollon m’enjoignait en réalité d’achever ma série de « Climbers »…

Docteur, entre deux squats jumpés hier, j’ai pris le temps de la réflexion, je ne sais pas s’il serait prudent de poursuivre ce traitement plus longtemps. Je suis très sensible au déficit de l’assurance maladie et n’est-il pas préférable que je périsse d’une bonne vieille crise cardiaque à l’improviste ? Je crains sinon de développer l’une des nombreuses pathologies secondaires qui impliqueront des thérapies coûteuses. Il en est une que je crains pardessus tout, le trouble de la personnalité narcissique. Ce trouble ne tardera pas à survenir si Cassandre et Apollon m’invitent encore à m’auto-applaudir à l’issue de chaque séance.

Je redoute d’être à mon tour victime d’un sortilège d’invisibilité à la salle de sport prochainement, mais soyons honnêtes Docteur, même les Dieux de l’Olympe ne m’auraient pas offert l’immortalité.

Bien à vous,

H.