Il ne s’appelle pas Pierre, ni Paul, mais Jacques, retenez bien ce nom : Jacques.
Natif de Saint-Glier, un petit village bestial où les animaux vivent avec les hommes en empruntant différentes prépositions. Parfois avec, parfois chez, parfois contre...
Jacques vit chez ses parents avec sa petite sœur Matilda et sa tante Tartine. Oui, c’est bien son nom. À ses côtés, jusque dans sa maison, son binôme s’appelle Markus. C’est un mille-pattes polymathe et prince d’un royaume lointain. L’animal ne s’exprime qu’en Latin. Si initialement cela ne devait être qu’un effet de mode, c’est devenu bien vite un trouble du comportement.
Ici, les entreprises sectaires sont en plein boom et Jacques a souscrit un abonnement ad vitam æternam à la secte de l’essence divine. Tout débuta un Mardi gras. Le canard vêtu d’un turban qui officiait en tant que chef incommensurable de la secte de l’essence divine convia ses plus récents disciples dans l’intimité de son bar à coups bas, un endroit qui servait à annoncer les tâches les plus ingrates. La pièce était bien trop petite, ce qui forçait les nombreux membres à constituer une pyramide humaine pour ouïr le discours du maître oiseau.
« Bonsoir ! Soyez attentifs. Chacun de vous se verra remettre une enveloppe contenant un nombre aléatoire que j’ai soigneusement décidé pour vous. Ce nombre représente la quantité de nouveaux adeptes que vous devrez trouver et convertir pour rejoindre nos rangs, et ce d’ici deux jours. Sachez que si un seul d’entre vous échoue, j’annulerai la crêpe-party de vendredi prochain. »
Un brouhaha se propagea dans la salle, ne faisant qu’amplifier l’inquiétude déjà présente du groupe. Quelques minutes suffirent pour que chacun se hâta à récupérer l’enveloppe qui lui était due. Les crêpes, c’était important pour Jacques. Il n’en mangeait que rarement, car sa tante préférait les tartines. L’occasion ne pouvait être manquée. Il ouvrit l’enveloppe pour y découvrir son nombre de conversions. Il lui fallait deux membres, plutôt bas pour le coup.
Il retourna chez lui quémander un coup de patte de Markus et après une minutieuse recherche le trouva somnolent dans le garage, nonchalamment accoudé au bord d’un jacuzzi gonflable. Tout en expliquant sa tâche sectaire à Markus, Jacques le tapotait de l’index. Mais le mille-pattes restait amorphe. Jacques optimisa sa façon de communiquer avec son camarade en optant pour de violentes bousculades...
Markus ouvrit enfin les yeux et Jacques reprit son histoire depuis le début.En tant que Shérif de Saint-Glier, le mille-pattes se souciait de ses habitants et proposa plutôt à son ami d’aller importuner les habitants du village voisin pour sa propagande. De plus, avec son statut, il aurait été mal vu qu’il l’assiste dans sa tâche. C’est donc seul que Jacques prit son coupé pour rejoindre le village voisin.
Ce qu’il ignorait c’est que pour maintenir le niveau de l’eau du jacuzzi, Markus avait fixé l’objet avec des cordes au coupé. En démarrant, Jacques entraîna involontairement Markus avec lui. C’est donc accompagné que Jacques prit son coupé pour rejoindre Monteaugrouin.
D’un point de vue astral, Saint-Glier était perpendiculaire à Monteaugrouin. On disait parfois même qu’ils étaient orthogonaux. Ici comme ailleurs, tous les animaux naissaient égaux en droits et en droiture aux humains ou presque. Depuis la nuit des temps, ces deux nations se vouaient une rivalité sans égard. Le championnat de pétanque était l’une des nombreuses confrontations servant à assouvir leurs pulsions sauvages.
Lorsqu’il traversa la frontière des deux villages, pluie et brouillard se mêlèrent et Jacques profita de ce caprice météorologique pour pester contre les habitants de Monteaugrouin. Il rejoignit difficilement la rue principale, car il n’y avait aucun luminaire. Le budget municipal avait certainement été dilapidé dans la maintenance des terrains de pétanque. En pleine nuit et sans lumière pour guider les voyageurs, difficile de discerner de potentiels intéressés.
La tempête s’amplifia et le coupé commença à tanguer. Mais Jacques ne perdit pas le nord. En regardant au loin, il aperçut une lumière intense. Tel le pêcheur égyptien, il se laissa guider par le phare, espérant qu’il n’était pas victime d’un fâcheux mirage. C’est ainsi qu’il tomba nez à museau avec un phoque.
Ledit phoque, Clémentin, comme à son habitude, lors des intempéries si fréquentes à Monteaugrouin, luisait de sa couleur bleue fluorescente la plus vive, mais ne pensez certainement pas qu’il est une lumière. Il rentrait de son cours de lecture aérobique et marchait joyeusement sur la route principale du village. Il avait rendez-vous avec Gontrand pour un entraînement de pétanque nocturne.
Mais qui est Gontrand ?
Natif de Monteaugrouin, Gontrand est du signe poisson. Dès ses plus jeunes années, il était mannequin pour pieds et déjà promis à un avenir prestigieux, mais la vie lui joua un mauvais tour. Lors du Mister Podal Univers de l’année de ses 18 ans, qui l’aurait projeté au-devant des projecteurs mondiaux, un scorpion malicieux, son principal adversaire lui blessa le tendon d’Achille, ruinant ainsi sa carrière et ses rêves.
Durant cet accident, il rencontra Clémentin qui en bon samaritain lui procura les premiers soins. Ils devinrent rapidement amis et compagnons d’aventure. Vivant ensemble, ils surmontent les désagréments de la vie avec un enthousiasme platonique. Mais revenons à notre lumière...
Jacques se mit au pas à côté et lui proposa de monter. Clémentin hésita longuement. Depuis toujours, on lui avait formellement interdit de monter à bord d'un véhicule étranger. À moins, bien sûr, que le chauffeur lui propose une sucrerie. Jacques lui tendait justement un bâtonnet sucré. Réglisse et crème de courge, la carotte était honnête. Clémentin se hissa à bord et commença à grignoter son offrande. Jacques se présenta, mais le phoque l’arrêta net d’une nageoire sur la bouche.
— Je suis pressé, je dois rejoindre mon ami Gontrand à notre entraînement de pétanque. Ou du moins, quelque chose comme ça... Car l’animal bavait fortement en prononçant ses mots ou alors c’était la pluie qui traversait le toit inexistant du coupé de Jacques.
— Si tu signes ce papier pour toi et ton ami, je peux te déposer directement là-bas !
Clémentin contempla le contrat pour rejoindre la secte d’un regard vitreux.
— Il y a plein de bonbons dans la secte de l'essence divine !
Clémentin signa. Comme le terrain n’était qu’à 50 mètres, Jacques n’eut qu’à appuyer une seule fois sur l’accélérateur pour respecter sa part du contrat. Arrivé au club de pétanque, Clémentin sauta en bas du coupé. Gontrand l’attendait depuis plusieurs heures, mais il en avait l’habitude.
— C’est qui celui-là avec son jacuzzi ?
— C’est mon nouveau copain. Il m’a donné des bonbons.
— Et il voulait quoi ?
— Qu’on rejoigne sa secte.Gontrand se mit à rire nerveusement. Il savait que Clémentin était capable d’avoir signé pour lui.
— Et ?
Un grand sourire aux lèvres, Clémentin lui annonça la nouvelle.
Gontrand passa par plusieurs états d’âme : Choc, déni, colère… mais le pardon n’était pas encore sa principale préoccupation. Provoquer en duel celui qui avait amené son affiliation sectaire lui paraissait la meilleure des solutions. Il s’en alla à sa rencontre.
Jacques ne l’avait pas vu arrivé, il avait d’autres soucis. Il n’avait pas remarqué en quittant la maison que le jacuzzi était resté accroché au coupé. La tempête, qui s’était depuis calmée, avait fortement fait mousser le jacuzzi. En suffoquant, Markus parut comme sortir des profondeurs. L’animal n’était pas seul. À ses côtés dans le jacuzzi, un Yakuza prenait le thé. Mais avant que Jacques ne puisse comprendre la cohérence de cette scène, il se fit interpeller par celui qu’il avait embrigadé dans la secte. Gontrand ne laissa pas la place aux présentations et provoqua directement Jacques en duel.
L’endroit était parfait et malgré l’obscurité ambiante, la légère brume permettait de maintenir la luminescence de Clémentin. Les conditions étaient propices à un match de qualité. L’affront fait à Gontrand allait se régler à coups de boules. Markus salua diligemment son compagnon Yakuza pour rejoindre le rang de Jacques. De son côté, Gontrand se fit rallier par Clémentin qui mettait déjà sur papier une stratégie exotique.
Personne ne voulait lancer le cochonnet. C’est donc Markus qui prit ses boules en main et le lança. La partie pouvait commencer. Après plusieurs questionnements à base de « tu tires ou tu pointes », la partie battait son plein et dans une chorégraphie incisive, Gontrand exécuta un superbe lancer en voie à clore la partie. Mais le coup manqua.
En effet, la boule n’arriva jamais à bon port, happée au vol par la dégringolade d’une mystérieuse roulotte qui s’écrasa massivement en plein milieu de la partie. Malgré la fumée provoquée par le choc, on distinguait sur l’un des flancs de la roulotte une grande enseigne bordée d’une dorure qui annonçait : « La Noctambule » avec comme sous-titre : « L’occultisme : une vue sur son avenir. » Gontrand et Clémentin avaient déjà vu cette roulotte qui apparaissait parfois durant la nuit dans les rues de Monteaugrouin. À ce qui se racontait, un tarsier en était le propriétaire. Il était aussi dit que cette boutique mobile transportait tout l’attirail du joyeux sorcier qu’il s’agisse de magie blanche, noire ou vert pomme.
Le grand occultiste Honoré le tarsier fit son entrée dans un nuage de poussière turquoise.
— Soyez maudit ! Vous avez déboussolé ma roulotte.
Il se trouvait que La Noctambule fonctionnait par un ingénieux système magnétique. Les ondes négatives de Gontrand liées au magnétisme naturel des boules de pétanque avaient dû attirer la roulotte et son propriétaire. C’était du moins la seule explication rationnelle. Le grand occultiste tapait du pied au pas de la porte de sa roulotte.
— Regardez ce que vous avez fait. Souvenez-vous bien, je vous maudis !
Il retourna dans sa roulotte tout en gesticulant d’exaspération. Puis, bruits de casserole et de fleur fanée se firent entendre. Et soudain, la roulotte se mit en mouvement et repartit à toute vitesse dans le sens contraire de son arrivée. Avait-il réussi à inverser les pôles ? Personne ne le sait, mais une chose était sûre, la partie s’était terminée prématurément avec pour seul dénouement la crainte du courroux d’Honoré le tarsier.
Quoi qu'il en soit, l'inquiétude grondait au point que Gontrand en oublia son admission sectaire irrévocable. Fallait-il craindre la malédiction du tarsier ? Peut-être pas. Mais Jacques et Gontrand partageaient leur angoisse d’être maudits.
La mésaventure du jour servit de leçon à Jacques qui jamais plus ne fût aussi vil.
Mais la classsse !
Honoré le tarsier haha
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Bonne continuation !
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Cool ! Merci bien !
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