Expert Judiciaire??? Allez viens je t'explique! (DERNIER EPISODE le 4)

in fr •  7 years ago 

Après vous avoir expliqué ce qu’est un Expert Judiciaire dans l'épisode 1 et le déroulement d'une Expertise Judiciaire dans l'épisode 2, je vous ai raconté comment vivre une expertise judiciaire dans le troisième épisode. Alors peut être que cela a suscité des vocations aussi? Allez savoir! En tous cas, je vais vous expliquer comment on devient Expert de Justice Agréé et puis je vais surtout vous expliquer le contexte général et là où va l’institution… et cela ne va pas que dans le bon sens..

Devenir Expert de Justice


La règle est très simple. Nous verrons la pratique après. Il suffit d’adresser une demande au procureur du Tribunal de Grande Instance où vous résidez avec un dossier complet pour le 1er mars de chaque année:
  • CV détaillé et compétences
  • copie de vos diplômes (en rapport avec les spécialités visées)
  • la liste des spécialités pour lesquelles vous voulez être inscrits
  • une photocopie de votre carte d’identité et livret de famille
  • une attestation sur l’honneur de non condamnation et de non faillite.

Le procureur va diligenter une enquête de moralité (plus ou moins approfondie d’ailleurs) et compléter votre dossier. Il va vérifier votre casier judiciaire sachant que le procureur a accès à tout. Inutile de tenter de le bluffer sur un casier en niveau A (donc en principe non visible). Lui le voit et sait pourquoi.

Le dossier est ensuite transmis à la Cour d’Appel où un magistrat spécialement désigné s’occupe de revisiter les dossiers avec le Premier Président de la Cour d’Appel. En juin, ils soumettent la liste complète à la réunion des magistrats (tous présidents de première instance) et ce sont eux qui font le premier écrémage. A ce stade, rien ne filtre.

Au besoin, la Cour d’Appel reçoit le candidat ou pose des questions par mail pour compléter le dossier en vue de la deuxième réunion des magistrats qui se tient toujours en novembre. Et là c’est le verdict final. Si vous n’êtes pas reçus, vous el savez tout de suite. Un courrier vous est adressé permettant d’ailleurs de faire appel (oubliez cette possibilité). Si vous êtes reçus, vous le saurez un peu plus tard car il faudra aller prêter serment à la Cour d’Appel (en général en janvier).

Le processus est donc totalement opaque, sans justification et dure un an. Il n'est pas rare même avec un bon dossier de devoir recommencer deux ou trois fois.

Je dirai que ça c’est la phase immergée de l’iceberg car concrètement être agrée ne vous donne aucune base sur comment vous y prendre. Et là, il faut bien admettre que c’est un foutoir généralisé. Je pèse mes mots.

Il n’y a pas de formation à proprement parler. Certaines Cour d’Appel ont mis en place des parcours de qualification et diplomant. A minima, vous apprenez la théorie. La pratique en est une autre. Chose certaine ceux qui le font sont rapidement pris (les bons élèves sont récompensés).

Ensuite, il y a la formation continue en général organisée par les compagnies régionales (il n’y a pas d’ordre pour les Expert Judiciaire, juste des compagnies d’Expert). Alors comme tout scout qui se respecte, la première année, tu les suis. Elles présentent des lignes directrices sans grand intérêt et tu comprends vite que tu n’y remettras plus les pieds.

Vous commencez un peu à me connaître, l’atypique c’est plutôt mon truc. Je n’ai absolument pas suivi ce parcours. Non, j’ai eu la chance de rencontrer un vieil expert qui m’a pris sous son aile et m’a emmené sur le terrain et m’a appris à rédiger et tous les trucs qu’il faut éviter. Avec l’accord des magistrats, j’ai même pu en faire quelques unes sous son contrôle. Fort de cela, les magistrats m’ont fait confiance et m’ont donné quelques missions pour me tester en solo. La première année, j’en ai eu 6. L’année suivante, j’en avais 25! De 2008 à 2012, j’ai donc réalisé environ 30 missions par an sans être agréé (je vous rappelle que dans le premier épisode, je vous ai expliqué que les magistrats nomment qui ils veulent mais ce cas reste une exception). Toujours est-il qu’aujourd’hui mes demandes d’agrément ou de renouvellement ne sont que des formalités.

Il est regrettable que cette notion de parrainage comme je l’ai vécu ne soit pas devenu la règle car c’est la meilleure façon d’apprendre quitte à faire durer cette période sur un ou deux ans. Avoir un tuteur en quelque sorte. Mais ça les compagnies s’y opposent. Cela leur enlève toutes leurs prérogatives (enfin le pensent ils). Si en France on faisait les choses dans le bon sens, cela se saurait. Toujours est-il que c’est aussi pourquoi l’institution bloque sur les Experts car ils ne sont pas tous compétents, loin s’en faut et tout cela crée un climat général qui n’est pas sain.


Et l’avenir?


Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire précédemment, l’Institution a de plus en plus recours aux experts. D’une part car les techniques évoluant, elles deviennent trop complexes pour les magistrats. D’autre part, cela permet d’externaliser bon nombre de « procès » et de désengorger les tribunaux. Pendant que c’est en expertise, ce n’est pas sur le bureau d’un juge (enfin si mais juste pour le suivi).

Mais vous l’aurez également compris, la sélection des nouveaux experts n’est pas la bonne et conduit à de nombreux problèmes dont un notamment: les experts qui ne rendent jamais leur rapport. Et ça, ça emmerde les magistrats car c’est une mauvaise note pour leur évaluation annuelle. Avec pour conséquence une défiance des magistrats envers les Experts alors que nous devrions être leur collaborateur (occasionnel) et donc leurs yeux et leurs oreilles.

Ce n’est plus le cas. J’ai connu l’époque de 2008 à 2013 où c’était encore le cas. Aujourd’hui, l’expert est un danger et un poids pour le magistrat, sa notation comme sa carrière. Et nous devons en partie cette dérive à Madame TAUBIRA. Avec une conséquence aussi incroyable qu’illégale : il n’y a plus aucun acompte à espérer. On peut demander à régler nos sapiteurs ou intervenants, mais nous, rien! Alors quand une affaire dure 4 ans avec plus de 20 avocats, je ne te dis pas la trésorerie que cela mobilise. Mon comptable est fou… J’ai deux ans de chiffres d’affaire dehors. Qui peut tenir dans ces conditions? Personne. Et c’est bien là le problème, tous les vieux de la vieille abandonnent. Ce n’est clairement plus rentable.

Le paradoxe est donc là. Il faut de plus en plus d’experts et il y en a de moins en moins, et de plus en plus non formés et non expérimentés. Alors forcément le prestige du titre fait qu’il y a toujours des candidatures et l’Institution compte là dessus, mais combien de temps le système pourra tenir à ce rythme? Car soyons clairs : dès la deuxième année, ceux qui pensaient en vivre arrêtent.

Vous allez me dire: et toi pourquoi tu continues? Même si j’ai mis du temps à m’adapter à l’évolution, tout système a ses failles. Et je m’y suis mis à mon tour. Je me suis placé en Redressement Judiciaire pour pouvoir souffler un an et refaire ma trésorerie. Vous dire que tout est sauvé? Non, mais j’ai du boulot. Je gagne pas grand chose au final mais je suis seul maître de mon emploi du temps. Alors je courbe l’échine et je continue. En rendant de bons rapports, dans des délais raisonnables et à des prix logiques.


L’institution mais pas que…


Je ne peux pas terminer cette chronique en 4 épisodes sans parler des assurances et l’accessibilité à l’Expertise. Dans les années 2000, les assurances ont vendu à tour de bras des contrats de protection juridique illimités. Oh la belle aubaine! Le nombre de procès et d’expertise a de fait explosé car monsieur tout le monde allait au Tribunal pour un oui ou pour un non.

Mais de fait, la Justice restait quasiment accessible à tous. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Ces contrats là existent toujours mais sont très limités et ne dépassent pas souvent 5000 euros. Autant vous dire que comme le coût moyen d’une expertise, avocat, huissier avoisine les 10,000 euros, il faut pouvoir suivre. Et c’est bien là le problème car les classes moyennes n’ont absolument pas les moyens d’avancer autant d’argent. De fait, ils ne vont plus au Tribunal et forcément cultivent à juste titre un sentiment d’injustice.

Alors qui continue à demander des expertises : les grandes sociétés et au premier chef les assurances, les administrations, et enfin un volant non négligeable d’affaires que représentent les aides juridictionnelles. Alors là aussi, il y aurait à redire car les personnes éligibles à l’aide juridictionnelle en abusent sans vergogne.

En clair aujourd’hui, il faut soit être pauvre soit très riche. Entre les deux, le monde de la Justice devient quasiment inaccessible. Alors comment l’Institution et l’Etat d’une manière plus générale voit la chose?

L’Etat s’en fout carrément. Regarde bien personne n’en parle. Tu peux relire tous les programmes électoraux que tu veux, nada. L’institution, elle, ne s’en fout pas. Mais ne prend pas la bonne direction. Son souhait est de réduire les honoraires de l’Expert pour rendre la justice à nouveau accessible. Si ils étaient un tant soit peu gestionnaires, ils se rendraient compte que ce n’est pas à l’échelle du problème. La vraie solution à mon sens consisterait à revenir aux protections juridiques plus larges et encadrées par la loi. Mais là, c’est à l’état d’intervenir et comme l’état ne va jamais contre les banques et les assurances, je vous invite à prendre votre mouchoir.

J’espère que tous ces épisodes vous auront plu, vous auront fait découvrir tout un monde auquel vous pouvez être confronté un jour ou l’autre. Sans concession. Parole d'un déjà vieil Expert ahahaha!


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@vincentleroy j'aime ton post! ça me rappelle les cours de droit et mes cours d'Expertise immobilière. Finalement j'ai choisi une autre voie mais par chance certain ne se découragent pas ;)