C’est leur rendez-vous annuel. Leur moment de complicité à elles, grandes amies depuis 30 ans. La cinquantaine pimpante, les voilà devant le cabinet de radiologie comme tous les ans. La première fois, ayant reçu leur invitation à se faire dépister le même jour, une idée leur est venue : transformer la corvée annuelle de la mammographie en précieux moment d’amitié. Passer la radio ensemble puis, soulagées, s’offrir un restau et un ciné comme quand elles avaient vingt ans.
Aujourd’hui, la salle d’attente est bondée. La secrétaire, à l’accueil, leur a dit : « C’est le mois d’octobre. Avec la campagne Octobre Rose, tout le monde pense à faire une mammographie ! »
Pas gênant de patienter, à deux, elles ont toujours de quoi papoter. Enfants, maris, parents vieillissant, travail : toujours une confidence à se faire, un souci à confier, un bonheur à partager.
Claire est appelée la première dans la salle d’examen, puis c’est au tour de Laure. Cette dernière se montre plus anxieuse que son amie au moment de se faire radiographier. Sa mère a eu un cancer du sein, il y a dix ans. Elle a encore en mémoire les épreuves que celle-ci a dû endurer durant plus d’un an. Elle s’en est sortie mais quand même...
Revenues en salle d’attente, les deux amies attendent que le radiologue les reçoive pour leur expliquer les résultats. Claire rassure Laure : le cancer de sa mère n’était pas génétique. Son médecin lui a affirmé qu’elle n’avait pas plus de risque qu’une autre femme d’en être atteinte.
Claire sort, souriante, du bureau du médecin : rien à signaler encore cette fois ! Elle serre le bras de son amie et lui glisse : « Allez, ça va aller. Pense plutôt à notre bel après-midi ! »
Mais, à peine Laure s’est-elle assise sur la chaise que le radiologue la regarde d’un air soucieux.
« Madame Derault, ce que je vais vous dire n’est pas agréable à entendre. J’ai repéré une masse suspecte au niveau de votre sein droit. Je vais vous orienter vers mon collègue du centre hospitalier pour qu’il effectue une biopsie. Ne vous inquiétez pas trop. Même s’il s’agit d’une tumeur maligne, pris à un stade précoce, le cancer du sein se soigne très bien de nos jours. »
Laure n’entend plus le médecin. Les mots chimio, nausées, radiothérapie défilent à toute vitesse dans son esprit. Les images du visage pâle et creusé de sa mère, de son corps amaigri et affaibli, du turban cachant l’absence de cheveux sur son crâne l’assaillent. Elle se lève comme une automate, sourde aux mots réconfortants du radiologue, sort du bureau et s’effondre en larmes dans les bras de son amie.
Claire ne dit rien. Elle sait. Elle a compris. Elle reconduit Laure chez elle et lui tient compagnie jusqu’à ce que son mari rentre du travail. Puis elle quitte le couple discrètement et rejoint son propre domicile. Assise dans son salon, elle se sent mal à l’aise. Se mélangent en elle le soulagement de ne rien avoir et la peine éprouvée pour son amie. Elle ne peut s’empêcher de penser : « Comment est-ce que je réagirais si ça m’arrivait, à moi aussi ? »
Fin d’après-midi pluvieuse d’automne. Le ciel est gris. Laure est allongée sur la table d’auscultation de l’hôpital, la poitrine dénudée. Le spécialiste s’approche d’elle. Il vient d’examiner ses radios. A ses côtés, les instruments pour la biopsie sont déjà prêts. Il applique le gel sur son sein droit et commence l’échographie. Concentré à l’extrême, il se tait. Il appuie, tourne, appuie à nouveau. S’excuse de lui faire un peu mal : c’est nécessaire pour bien voir. Ses sourcils se soulèvent comme s’il était étonné. Laure s’angoisse : Est-ce plus grave qu’on ne le croyait ? Étrangement, le médecin se met à ausculter le sein gauche... puis revient au droit... Et soudain, il s’écrie : « Mais qu’est-ce que c’est que ce bazar ! Vous n’avez rien, madame Derault ! Pas la moindre masse ! »
Laure, abasourdie, nettoie sa poitrine avec le papier absorbant tandis que le radiologue retourne consulter son dossier. Quand il revient, il a trouvé l’explication à ce « miracle ». Il y a apparemment eu confusion dans les radios au cabinet de mammographie. Le dossier de Laure portait le numéro 302 et on lui a attribué par mégarde les radios du 301 !
Éberluée par l’annonce de cette erreur, elle rejoint son mari en salle d’attente. Seuls dans la voiture, ils laissent exploser leur joie. Ils devaient partir à la mer ce weekend pour se préparer à la future épreuve. Ils iront pour fêter la bonne nouvelle !
Avant de faire ses bagages, Laure appelle Claire pour lui faire partager son soulagement. Sa vieille amie a laissé son téléphone sur la messagerie. Pas grave : elle lui expliquera plus tard. Rien ne presse maintenant !
De retour, le lundi, nouvel essai d’appel à Claire. Encore la messagerie. Étrange, le portable de son amie reste rarement éteint en journée... Peut-être est-elle souffrante. Laure lui demande de la rappeler : c’est important, une nouvelle géniale à lui annoncer !
Mardi, sans nouvelles de Claire depuis plusieurs jours, inquiète, Laure tente un SMS : « Pas fait biopsie. Dossiers échangés. Comment vas-tu ? ». À sa grande surprise, elle reçoit immédiatement un message en réponse : « Dossier301 : c’est moi. »
Congratulations @black36! You have completed some achievement on Steemit and have been rewarded with new badge(s) :
Award for the number of posts published
Click on any badge to view your own Board of Honor on SteemitBoard.
For more information about SteemitBoard, click here
If you no longer want to receive notifications, reply to this comment with the word
STOP
Downvoting a post can decrease pending rewards and make it less visible. Common reasons:
Submit