Une presse manipulée ? Le cas d’école du rapprochement entre Naval Group et Fincantieri

in naval •  5 years ago 

Si les relations entre Rome et Paris sont tendues à cause de profondes divergences politiques entre les gouvernements, cela n’explique pas pour autant la cabale en cours contre le rapprochement franco-italien entre les deux géants Naval Group et Fincantieri. Explications.

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Que des titres volontairement agressifs à l’égard de l’entreprise italienne et anxiogènes pour l’entreprise française : « Pourquoi ça fait pshittttt », « Le projet Fincantieri-Naval Group se complique », « Fincantieri, ce partenaire de Naval Group qui joue un inquiétant double jeu », « Fincantieri : une liaison très, très dangereuse pour Naval Group ? »…

Une certaine presse – notamment La Tribune – s’est montrée extrêmement critique vis-à-vis du rapprochement amorcé entre Naval Group et Fincantieri, là où la majorité des journaux et magazines ont simplement relaté les faits. Le 24 octobre dernier, au lendemain de l’annonce de l’alliance entre l’entreprise italienne Fincantieri et son homologue française Naval Group, Capital écrivait notamment : « Le français Naval Group (ex-DCNS) et l'italien Fincantieri ont annoncé mardi soir s’être mis d’accord sur une alliance industrielle et commerciale dans le secteur de la marine militaire, aussitôt saluée par les deux gouvernements. » Simple et informatif. Pourquoi ce décalage entre rédactions ?

Les forces en présence

Retour sur les faits. Le marché européen de l’industrie navale est confronté à deux phénomènes : la nécessité de consolider ce secteur, et la concurrence exacerbée venue de l’étranger, principalement de Russie et de Chine (à noter que pour la construction navale militaire, les Etats-Unis sont absents des appels d’offre internationaux). En Europe, plusieurs pays ont une grande tradition maritime, comme la France, l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne. Chacun de ces pays disposent d’entreprises de pointe – en termes de construction ou d’équipements – rivales et/ou partenaires.

C’est vrai, le contexte politique entre Rome et Paris est venu compliquer les tractations en cours. L’équipe Macron – au pouvoir depuis mai 2017 et partisane d’une Europe forte et plus intégrée – a vu d’un mauvais œil la victoire électorale d’une droite populiste et protectionniste à Rome quelques mois plus tard. Depuis mars 2018 en effet, un vent nouveau souffle en Italie, le gouvernement Conte s’arc-boutant sur le « made in Italia ». Par-delà les Alpes, deux entreprises se partagent les honneurs : Fincantieri et son équipementier Leonardo qui se sont fortement rapprochés en 2018. En France, même cas de figure entre Naval Group et Thalès, ce dernier étant même présent au capital de Naval Group (35%) depuis plus d’une décennie.

Dans ce contexte, il est important de rappeler que les liens sont déjà forts et les points communs nombreux entre toutes ces entreprises, à la fois partenaires et concurrentes. Fincantieri et Naval Group – qui travaillent sur des projets communs depuis les années 90 – ont comme principal actionnaire leur Etat respectif (à hauteur de 71,64% pour l’État italien et de 62,49% pour l’APE française, l’Agence des participations de l’État français). Leurs deux équipementiers, eux, se livrent une guerre commerciale sur des produits high-tech comme les radars ou les systèmes de combat. Naval Group et Thalès, s’ils sont étroitement liés, se retrouvent paradoxalement en compétition fréquente sur les appels d’offre, comme ce fut le cas pour les chasseurs de mines de la marine belge, finalement remporté par Naval Group au grand dam de Patrick Caine, le patron de Thalès. Qui de ces acteurs, privés ou étatiques, aurait donc intérêt à faire capoter le rapprochement entre Fincantieri et Naval Group ? La réponse est à chercher du côté des équipementiers, Thalès en France et Leonardo en Italie : deux équipementiers risquent de se retrouver face à un seul et unique systémier-intégrateur, d’où la crainte que l’un ou l’autre face les frais de ce rapprochement. Quitte à monter l’affaire en épingle par presse interposée ? La proximité du patron de Thalès avec le propriétaire de la Tribune permet bien des hypothèses sur ce sujet [insérer lien vers GOND12]. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Pour Thalès, c’est une question d’opportunités commerciales et de protection de ses marges élevées, conséquence d’un quasi monopole. Pour l’industrie navale européenne, c’est plus probablement une question de survie.

Une nécessite industrielle évidente

Il en va, aujourd’hui, de l’avenir de l’Europe navale en général et de ces entreprises en particulier, même si elles sont aujourd’hui florissantes avec des carnets de commandes bien remplis. Mais l’époque est à la consolidation, les années 2020 seront capitales pour l’avenir de l’industrie européenne car cette dernière a vu renaître, ces dix dernières années, la construction russe et a surtout vu éclore l’industrie chinoise, devenue nº1 mondiale en seulement dix ans. « Il y a 30 ans, il n’y avait que des Européens sur le marché, rappelait Hervé Guillou, PDG de Naval Group, aux côtés de Giuseppe Bono, PDG de Fincantieri, quand les deux patrons ont scellé leur alliance en octobre dernier. Les conditions ont complètement changé aujourd’hui. Nous avons maintenant des acteurs nouveaux qui changent complètement les conditions du marché, et qui nous obligent à consolider notre posture en tant qu’Européens, pour être capables de rester sur le marché et d’augmenter nos parts à l’international. » Le rapprochement avec Fincantieri – qui doit mener à terme à une fusion des deux entités – est clairement vécu comme une nécessité par les deux capitaines d’industrie. Deux capitaines pro-Européens ayant démontré depuis longtemps leur capacité à anticiper les changements.

Ce lien franco-italien a même été renforcé depuis l’an dernier par deux événements : la procédure de rachat des Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire lancée par Fincantieri, et par la Légion d’honneur attribuée à Giuseppe Bono. « Nous devons consolider nos industries afin de les rendre compétitives avec le reste du monde, en valorisant notre modèle d’affaires, basé sur un système solide de valeurs que nous avons construites au cours des siècles, a-t-il alors déclaré devant l’ambassadeur de France à Rome. Dans ce domaine, la France et l’Italie ont été à l’avant-garde et je suis sûr qu’elles continueront de l’être. » Pourtant, une certaine presse continue de titrer « Naval Group-Fincantieri : mer agitée dans le naval militaire entre la France et l’Italie » ou encore « Et si les Chantiers de l'Atlantique restaient français ? ». Mois après mois, malgré les premiers projets et les perspectives d’avenir, des organes de presse ne cessent de distiller le doute et de torpiller le rapprochement franco-italien. L’intérêt général et européen semble une notion toute relative pour certains.

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