J’entends les voitures dans la rue au bas d’une chambre où je ne suis pas encore allé. Il y a une jonction, une autre jonction, qui me met les pieds sur un par terre que mon destin ne pouvait pas ne devait pas fouler, un parterre étrangement rejoint. Peut-être marche-je sur le sol où gît mon corps enfin délesté du feu lourd, légèrement éteint, mais pourtant ci-dessous, foulé par cet étrange, cette présence qui demeure, et qui me hante en une sourde, indéfinissable intuition.
Alors pressé, conscient qu’il est déjà trop tard, ou bien si tôt qu’une seule occasion en devient improbable, alors urgemment je me tiens comme en proie à cette situation d’à côté, de parallèle, de par-delà, dans un insoupçonnable opportunisme je saisis la traverse qui pulvérise et mon temps, et mon histoire, et ce centre d’expérience, et qui me rend pour une fois, enfin, réellement, profondément, totalement possible.
Etre possible -c’est l’ultime aveu de cette conscience qui jusqu’alors se croyait sienne, qui se tenait, et pourtant ne faisait que se pressentir dans sa propre dissolution, son explosante-fixe, dans cette espèce de permanence éphémère, cette latence du déjà fini, comme la continuité fugace d’une étoile filante. Cette conscience qui habillait mon expérience d’un vêtement rêvé sur l’être, qui drapait tout de son per se, tantôt s’apitoyait, se complaisait, avec cette sorte d’appartenance à soi aveugle au reste de ce qui vibre. Cette conscience qui croyait pouvoir contenir un monde, mais qui se fermait sur son objet comme on referme nerveusement une poche dans laquelle on a caché le dérobé, qui zippait et taisait le réel en invoquant ses vérités, ses parlottes, rendue au fond bien muette par son propre agent stérilisant dont elle avait fait son lait. La conscience est une sécrétion entropique au plus intime du vivant, elle est cette sève indigeste pour l’humain, provenue de l’arbre de science, qui en lieu et en place de la magie et de la source créatrice de la vie, fait couler la mort et le péché dans nos veines.
Déréliction fractale, témoignage d’être, d’avoir été, de devenir : le témoignage d’un possible, tellement possible que tout ce qui est conscient le nie.
Enfin liquéfié dans le passé présent avenir de ce qui n’est pas plus qu’il n’est, et de ce qui est pas plus qu’il n’est pas, me voici rendu seulement possible, subvivant. Aliéné dans le tout, portant tout, dévêtu de toute individualité, je suis toi. Je te suis possible. Je viens avec toi au moment où tu ne vas plus nulle part, lorsque tu reviens à ce croisement nodal qui s’annule, cette expurosis où brûles l’orgueil et brille la conviction d’être quelqu’un, enflammée et crépitante comme une peau de bête fraichement dépecée sur le bûcher.
Je te suis là où tu vas, et lorsque tu ne vas plus vers quoi que ce soit, c’est moi qui viens à toi. Te voilà récipiendaire de ma lacune. Tu es noyé par mon videment, comme une chiotte je te chasse, la bonde engloutie toute préhension, tout souvenir, toute identité, et nous voilà lésés d’avoir été, singularisés dans le mélange, anéantis jusqu’à ce que soit rendu possible ce réel où nous n’avons ni lieu, ni moment.
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