... Imaginons un instant que cette confiance disparaisse, que les clients majoritairement de condition modeste se décident un beau jour de se révolter. Imaginons — ce qui n'est pas si extravagant que cela — que les clients des banques décident tous et tout d'un coup de retirer leurs sous, n'ayant plus confiance; c'est la chute assurée de tout le système bancaire. Cela rappelle bien des souvenirs, l'histoire de la Grande Dépression, notamment.
Faut-il se rappeler aussi, à cette occasion, ce que la grande crise du monde moderne a entraîné comme révisions déchirantes en termes de pensée politique et de décisions économiques courageuses prises par des politiciens d'envergure, à haute valeur morale; dans le cadre du New Deal, par exemple.
C'est bien clair, nous vivons une période où la confiance du peuple en ses élites continue à s'éroder, que ces élites soient nationales ou internationales; et il est temps d'arrêter notre course vers l'abîme ! Il est temps de mettre fin à cette fuite en avant menant inéluctablement vers la catastrophe assurée, comme lorsqu'on accélère en voiture face à un mur en béton ou en s'engageant sans frein sur une pente descendante.
Certes, nos gourous du monde financier et leurs complices de l'univers politique se prennent pour des cascadeurs, prétendant se jouer à merveille des périls que le quidam ordinaire ne se permettrait point. Mais le temps de Prométhée est fini; nous relevons de l'époque de l'homme sans qualité, l'enfant du peuple, ce gus des rues qui donne désormais le tempo de la vie; et ce qu'on le veuille ou non. C'est la leçon première à retirer de la Révolution Haïtienne faite d'abord par ses jeunes aux mains nues, aux rêves aussi vastes que le monde. Et je ne parlerais pas de leur imagination !
Il est vrai, des mains expertes sont intervenues à temps pour profiter de ce qui n'a été que l'œuvre principale de ces enfants déguenillés de notre Haïti; mais ces acteurs de l'ombre n'ont fait que prendre le train en marche afin de tenter d'en détourner le trajet dans le sens de leurs propres intérêts. D'autres sont venus précipitamment après pour confisquer, non seulement la Révolution, mais tout le pays. Or, le peuple, lui, ne saurait jamais être confisqué; tant qu'il y aura en son sein des gens en guenilles, il sera révolutionnaire. Et ils sont légion!
Qu'on se le dise donc: la Révolution est loin d'être finie en Haïti; qu'on ne l'oublie surtout pas! De deux choses l'une donc: ou elle est poursuivie sur le plan politique par les élites qui prendraient ainsi le relais du peuple obtenant le droit au repos du sans abri; ou c'est le peuple haïtien lui-même qui rempile grâce à ses propres enfants pour terminer l'œuvre inachevée...
On l'a bien compris, le vif souhait et la volonté déterminée de tout patriote sont que l'élite haïtienne fasse vite, tant qu'il est encore temps, sa propre révolution en collant aux désirs du peuple, cessant d'être le reflet des seuls intérêts internationaux pour incarner enfin, pour une part au moins,ceux du peuple. Cela commence par rompre avec les inepties d'un temps fini, comme celui de la libre circulation des marchandises, prioritaire à celle des créateurs des richesses que sont les humains, ou l'obligation impérative du remboursement d'une dette scélérate érigée en dogme sacré.
On le dit et on le répète à raison : Haïti a le devoir irrépressible d'être enfin moderne ou — comme je le répète souvent — postmoderne; ce qu'elle est déjà. Cela impose évidemment de sortir du dogmatisme et de l'intégrisme qui veulent s'y implanter, venant de pays vivant en dehors du présent, celui du sacré religieux.
Toutefois, il ne faut pas oublier que pareil impératif catégorique va de pair avec une autre inéluctabilité, celle de sortir du dogmatisme et de l'intégrisme laïques qui entendent s'y implanter durablement et qui nous viennent de nos amis, les pays capitalistes, voulant vivre en dehors du futur, contrariant le sens de l'histoire.
Ce sens est vers plus de solidarité dans un monde non plus globalisé, mais « mondianisé » (mon néologisme fait de la contraction nécessaire de monde et d'humanité), où l'humanitaire a enfin sa place éminente. Ce qui impose de commencer l'édification d'un espace de réelle démocratie, dans une aire de civilisation où les communions émotionnelles inévitables se feront autour des valeurs qui ont fait à la fois l'essence de la civilisation occidentale et celle des Catholiques des Lumières bien avant elle, mais qui sont aujourd'hui foulées aux pays par ces pays eux-mêmes, aussi bien occidentaux que Catholiques...
L'histoire a voulu qu'Haïti soit le premier jalon de sa marche imparable vers le futur, et rien n'arrête la marche ....
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