Régulation transcriptionnelle du rétrotransposon copia de Drosophila melanogaster - cinquième partie

in steemstem •  6 years ago  (edited)

Dans cette cinquième partie nous allons discuter de l'hétérochromatine et de l'euchromatine avant de commencer un traitement détaillé des protéines chromosomiques "non-histones", notamment les protéines HMG-1/-2 ("high mobility group proteins").

Pour ceux qui veulent lire depuis le début, la première partie est ici: Régulation transcriptionnelle du rétrotransposon copia de Drosophila melanogaster - première partie

Pour ceux qui veulent un peu de contexte à cette thèse, je le fournis dans cet article: Ma thèse de doctorat en biologie moléculaire - les débuts

L'hétérochromatine

L'hétérochromatine est souvent située dans les régions centromériques et télomériques des chromosomes mais chez la Drosophile quelque courtes régions situées le long des bras chromosomiques sont hétérochromatinisées.

Chez les mammifères et la plupart des eucaryotes supérieurs, l'ADN situé dans l'hétérochromatine est constitué pour la plupart d'ADN hautement répétitif. Il peut constituer un déterminant moléculaire pour la formation de l'hétérochromatine, par exemple en fournissant des sites de liaison pour des protéines spécifiques.

Les séquences situées dans l'hétérochromatine ne sont en général pas transcrites. De plus, le processus d'hétérochromatinisation induit l'inactivation de la plupart des gènes de l'euchromatine (voir par exemple page 61). Cependant, certaines régions de l'hétérochromatine contiennent des gènes transcrits, ce qui souligne son hétérogénéité fonctionnelle.

La définition de l'hétérochromatine étant cytologique, il n'est pas surprenant de découvrir qu'il s'agit en fait d'une fraction très hétérogène du point de vue structural et fonctionnel. En particulier chez la Drosophile on trouve en plus de l'ADN hautement répétitif des nombreuses copies d'éléments transposables (Pimpinelli et al., 1995), mais aussi des séquences uniques.

Les séquences situées dans l'hétérochromatine ne sont en général pas transcrites. De plus, le processus d'hétérochromatinisation induit l'inactivation de la plupart des gènes de l'euchromatine (voir par exemple page 61). Cependant, certaines régions de l'hétérochromatine contiennent des gènes transcrits, ce qui souligne son hétérogénéité fonctionnelle.

Dans tous les organismes multicellulaires, les gènes ribosomiques sont organisés en tandem à l'intérieur de l'hétérochromatine (Wakimoto, 1998).

Chez la Drosophile, il y a environ 20 gènes codant des protéines situés dans l'hétérochromatine (Devlin et al., 1990), dont au moins sept nécessitent la présence de l'hétérochromatine pour une expression normale (Weiler et Wakimoto, 1995). Il est intéressant à noter ici que le promoteur du rétroposon HeT-A (figure 6, page 23), activement transcrit in vivo et impliqué dans la maintenance des télomères, doit nécessairement être actif dans l'hétérochromatine (Danilevskaya et al., 1997).

Parmi les candidats au rôle de composants structuraux de l'hétérochromatine on mentionnera la protéine HP1 (Heterochromatin Protein 1). Chose étonnante, cette protéine ne possède pas la capacité de lier l'ADN, son ciblage doit probablement être fait par l'intermédiaire d'interactions avec d'autres protéines. Bien que très abondante dans l'hétérochromatine, cette protéine est également présente à des sites spécifiques dans l'euchromatine (James et al., 1989). Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si HP1 et autres protéines associées préférentiellement avec l'hétérochromatine remplissent des rôles différents lorsqu'elles sont situées dans un contexte euchromatique.

Euchromatine

L'analyse de la séquence du génome de drosophile montre qu'il n'y a pas de limite claire entre l'hétérochromatine et l'euchromatine (Adams et al., 2000). En revanche, sur une distance d'environ 1 Mb, on remarque que la densité des éléments transposables et autres séquences répétées diminue au fur et à mesure qu'on s'approche d'une région euchromatique.

L'euchromatine contient en effet la plupart des séquences uniques. Le traitement contrôlé des noyaux par la DNaseI a permis de distinguer dans l'euchromatine une fraction, représentant environ 10 %, particulièrement peu condensée. L'état de compactage de l'ADN dans cette fraction corrèle avec une plus grande activité transcriptionnelle des séquences s'y trouvant, raison pour laquelle cette partie de la chromatine a été appelée chromatine active.

Plusieurs autres caractéristiques biochimiques, comme par exemple un plus grand degré d'acétylation des histones centrales s'ajoutent pour mieux définir la chromatine active par rapport au reste de la chromatine.

Une conséquence logique de l'existence de ces différentes fractions de la chromatine est l'apparition de régions de frontière à leur interface. L'étude de ces régions a montré qu'elles étaient bien définies du point de vue structural (pour une revue, Bell et Felsenfeld, 1999).

Certaines frontières peuvent se former à la suite d'un état d'équilibre local entre les influences qui essayent d'établir un état condensé et celles qui au contraire tendent à établir un état "ouvert" de la chromatine". D'autres sont caractérisées par la présence de séquences d'ADN particulières appelées "isolateurs" (page 70), reconnues par des protéines spécifiques, qui marquent de manière non équivoque la fin d'un domaine.

I.3.3 Les protéines chromosomiques "non-histones"

Le tableau des déterminants protéiques des caractéristiques structurales de la chromatine est très incomplet - tous les intervenants n'ont pas été isolés et la contribution exacte de ceux qui sont connus n'a pas été entièrement élucidée. Traditionnellement, les protéines, autres que les histones, qui peuvent être extraites à partir de la chromatine, à l'exception des facteurs de régulation de la transcription ou de la réplication et des enzymes de modification, sont aussi appelées "protéines chromosomales nonhistones". Pour des raisons de simplicité, nous avons choisi de les appeler "protéines à rôle structural" ou, plus court, "protéines structurales".

Parmi les protéines structurales le mieux caractérisées on compte les protéines High-Mobility-Group (HMG). Leur nom fait référence à leur comportement électrophorétique et la définition du groupe est technique : ce sont des protéines de faible poids moléculaire (<30 kDa), riches en acides aminés chargés, qui peuvent être extraites des noyaux ou de la chromatine en présence de 0,35 M NaCl et qui sont solubles dans une solution d'acide perchlorique ou trichloroacétique 5% (pour une revue, Bustin et Reeves, 1996).

Les protéines HMG sont regroupées en trois familles : la famille HMG-1/-2, la famille HMG-14/-17 et la famille HMG-I(Y). Elles s'attachent à des structures spécifiques dans l'ADN ou dans la chromatine, avec une faible spécificité pour la séquence de la cible.

La famille HMG-1/-2

Les protéines de la famille HMG-1/-2 sont les plus grosses (environ 25 kDa) et les plus abondantes des protéines HMG. Bien que leur quantité varie dans les espèces, au cours du développement et en fonction du type cellulaire, on l'estime à environ une molécule pour 10-20 nucléosomes. Leur séquence est très conservée et leur domaine de liaison à l'ADN partage des fortes similitudes avec ceux d'un grand nombre de protéines liant l'ADN qui ont été regroupées dans la superfamille des protéines à "HMG-1 box".

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Figure 12 : Schéma général montrant un "HMG-1 box" ou un "A.T-hook" (en vert) dans un complexe avec l'ADN recourbé (en gris, le petit sillon est vers le haut; d'après Zlatanova et van Holde, 1998).

-le "HMG-1 box"

Le motif "HMG-1 box" est formé d'environ 80 résidus d'acides aminés et sa structure tridimensionnelle est connue (Weir et al., 1993). Elle comprend trois segments en hélice alpha et un segment étendu, dont l'arrangement dans l'espace rappelle un boomerang ou la lettre L. Les études de plusieurs protéines à "HMG-1 box" ont révélé que la structure tertiaire du domaine était très conservée, plus que sa séquence. Des expériences de permutation de domaines ("domain swapping") ont par ailleurs montré que toutes les "HMG-1 boxes" n'étaient pas interchangeables (Read et al., 1994).

Les protéines HMG-1 et -2 ainsi que les motifs "HMG-1 box" isolés lient l'ADN tordu ou recourbé (par exemple par l'antitumoral cis-platine), ainsi que les jonctions quadripartites (page 35). De plus, toutes les protéines de la superfamille qui ont été analysées sont capables d'induire des courbures dans l'ADN lors de la liaison (Bustin et Reeves, 1996). Dans les complexes, l'ADN est logé dans la concavité du "L", partiellement déroulé et recourbé vers le grand sillon qui se retrouve comprimé alors que le petit sillon s'élargit (figure 12).

Un facteur important dans ce phénomène est l'intercalation partielle d'un résidu hydrophobe entre les paires de bases, vers le centre du substrat (King et Weiss, 1993). La chaîne latérale de ce résidu perturbe l'empilement des bases mais pas leurs appariements (Love et al., 1995) et stabilise l'élargissement du petit sillon.

Ce mécanisme de modification de la structure de l'ADN est utilisé par un grand nombre de familles de protéines non apparentées, qui toutes insèrent des résidus non polaires dans le petit sillon, entre les bases, conduisant à des modification radicales de la trajectoire de la double hélice (Werner et Burley, 1997). A titre d'exemple, la structure globale du complexe rappelle fortement celle d'une autre protéine liant l'ADN dans le petit sillon, la TBP (TATA box Binding Protein, page 51), en complexe avec son substrat ADN (Kim et al., 1993).

L'important rôle structural joué par les protéines HMG-1/-2 est également souligné par leur capacité à introduire (en présence de la topoisomérase I) des supertours dans des domaines topologiquement fermés de l'ADN. En absence d'autres facteurs, ces protéines sont aussi capables d'introduire des boucles dans l'ADN linéaire ou dans des plasmides circulaires relâchés (Stros et al., 1994).

Dans la chromatine, les protéines HMG-1 et -2 sont positionnées entre les nucléosomes, comme l'histone H1. Bien que les données expérimentales dans ce domaine sont encore insuffisantes pour le prouver, il semblerait que HMG-1/-2 et l'histone H1 sont en compétition pour la liaison à certaines régions de la chromatine dont elles affectent la fonction (pour une revue, Zlatanova et van Holde, 1998).

A titre d'exemple, l'homologue de HMG-1 chez la Drosophile, HMG-D, remplace l'histone H1 au stade embryonnaire, vraisemblablement pour maintenir la chromatine dans un état de condensation plus favorable à des réplications successives rapides (Ner et Travers, 1994).

La superfamille des protéines à "HMG-1 box" a une histoire évolutive très ancienne et comprend aussi bien des protéines liant spécifiquement une séquence de l'ADN que des protéines ne montrant pas de spécificité pour la séquence d'ADN liée. En dehors des domaines "HMG-1 box", ces protéines ne présentent au mieux que des très faibles similitudes de séquence. Parmi elles se retrouvent des nombreux facteurs de transcription.

Une analyse phylogénétique (Laudet et al., 1993) distingue deux sous-groupes à l'intérieur de la superfamille :

  • les membres du premier, qui inclut les protéines HMG-1/-2, contiennent au moins deux "HMG-1 box";
  • les membres du second, parmi lesquels on compte par exemple la protéine SRY et le Lymphoid Enhancer binding Factor (LEF)-1/TCF-1 alpha, n'ont en revanche qu'un seul motif "HMG-1 box" aux côtés d'autres domaines protéiques.

La sélectivité et la spécificité de liaison à l'ADN des différents facteurs à "HMG-1 box" varie beaucoup. Ainsi HMG-1 et -2 semblent indifférentes à la séquence alors que SRY et LEF-1 produisent sur l'ADN des empreintes spécifiques avec une séquence consensus reconnaissable.

Ces séquences sont généralement riches en paires A.T. Cependant, en comparaison avec les facteurs de transcription classiques, la spécificité des facteurs à "HMG-1 box" est plutôt faible (Ferrari et al., 1992). Une raison expliquant les fortes variations dans le comportement de ces protéines vis-à-vis de la séquence de leur cible est le fait que toutes les "HMG-1 boxes" interagissent avec l'ADN principalement par des contacts dans le petit sillon, qui n'offre que peu de possibilités pour l'établissement de contacts spécifiques de la séquence.

Nous nous trouvons actuellement à la fin de la page 42 (de la version papier). L'article suivant continuera la présentation des protéines HMG avec la famille HMG-14/-17 et la famille HMG-I(Y) qui nous intéressera plus particulièrement par la suite car possédant une séquence protéique particulière appelée "A.T-hook" ("crochet à séquences A.T").

image.png

Pour ceux qui veulent relire la quatrième partie, voici un lien direct

Références bibliographiques

Adams, M.D., [...] and Venter, J.C. (2000). The genome sequence of Drosophila melanogaster. Science 287 , 2185-2195.

Bell, A.C. and Felsenfeld, G. (1999). Stopped at the border : boundaries and insulators. Curr.Opin.Genet.Dev. 9, 191-198.

Bustin, M. and Reeves, R. (1996). High-Mobility-Group Chromosomal Proteins : Architectural Components That Facilitate Chromatin Function. Progress in Nucleic Acids Research and Molecular Biology 54, 35-100.

Danilevskaya, O.N., Arkhipova, I.R., Traverse, K.L., and Pardue, M.L. (1997). Promoting in tandem: the promoter for telomere transposon HeT-A and implications for the evolution of retroviral LTRs. Cell 88, 647-655.

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