C’est moi qui suis le vrai charlatan,
Le vrai charlatan à la fois homme et femme.
N’ayez pas peur, ouvrez-moi vos mains,
Je vous ferai dans mon miroir de flammes
Pêcher les traits de vos futurs amants.
Comme le poisson plonge dans l’eau,
Comme l’oiseau monte à l’assaut
Des cimes hautes de l’espace,
A travers le cours de mes existences
Le Temps m’a livré le mot de passe
Qui sépare en deux le Présent.
Mon esprit qui tourne en tout sens
Voit l’infini sur ses deux faces,
Je lis le destin comme dans une glace,
Une beauté ridée suit les ans à la trace.
Ainsi, il m’est donné de retrouver la trace
De l’Avenir que je pourchasse
Dans les arcanes du Présent.
Sous la garde des sortilèges
Dont l’escorte ne me quitte pas,
Je m’aventure jusqu’au siège
Plein de menaces du Sabbat.
Je fais plus ; j’entre dans le cercle
D’où le Magicien hors de lui
Dirige son épée de neige
Sur la tempête des Esprits ;
Et les serpents qui le protègent,
Réveillés, se jettent sur lui.
Je sais replâtrer les virginités,
Faire cocu l’époux infidèle,
Suer d’amour le coeur rebelle
Par mes charmes désarçonné.
Toutes et tous, venez à moi,
Quand je dévoile ce que je vois
Dans le Miroir de la Fortune.
Et tous et toutes, quand les années
Sur vos têtes auront passé,
Vérifierez la vérité
Des prédictions à bon marché
Que le charlatan homme et femme
A devant vous dilapidées.
Antonin Artaud (1896-1948) – Poème extrait de Le moine (de Lewis) (1931)