Arrivé à la présidence du fournisseur d’énergie en mai 2018 pour remplacer Gérard Mestrallet, Jean-Pierre Clamadieu compte imposer son style de gouvernance. Alors qu’Engie est déjà engagé dans un processus profond de transformation, Clamadieu pourrait accélérer la tendance. Portrait d’un homme pressé.
Sa voix est douce, sa fibre pédagogue évidente. A 61 ans, Jean-Pierre Clamadieu gravite dans les hautes sphères industrielles depuis trois décennies, et sait se faire entendre. Spectateur privilégié des mutations des grandes entreprises, il en a accompagné plusieurs au cours de sa carrière. « Pour se transformer, il faut un diagnostic lucide de là où l’on est, et une vision claire de là où l’on veut aller. Ces deux points-là sont essentiels, et lorsque l’on a ces deux éléments, il faut tracer le chemin, disait-il en avril 2018, alors PDG du chimiste belge Solvay. Ce chemin, il faut le partager avec ses équipes. La transformation, on ne la fait pas seul depuis son bureau, on la fait en passant du temps sur le terrain. Le rôle d’un dirigeant, c’est de comprendre l’environnement dans lequel son entreprise opère. De cette analyse de la situation de l’entreprise, il faut tirer une vision. » Un mois plus tard, Jean-Pierre Clamadieu quittait Bruxelles pour regagner Paris. L’Etat français venait d’entériner sa nomination à la présidence d’Engie (ex-GDF Suez) dont il est actionnaire à 24,1%.
Un patron qui va vite, très vite
Ses premiers pas, Jean-Pierre Clamadieu les fait dans la haute administration, comme au début des années 90 au sein du cabinet de Martine Aubry, alors ministre du Travail. Mais ce diplômé de l’Ecoles supérieure des mines se destine au monde industriel. Et plus précisément à la chimie. En 1993, il intègre le géant français Rhône-Poulenc puis Rhodia en 1996 à différents postes de direction, jusqu’à être nommé directeur général en 2003. Le groupe est alors « au bord du gouffre », Clamadieu propose ses solutions et sa vision industrielle. « Que ce soit pour une start-up ou un grand groupe multinational, il faut savoir où l’on veut aller, explique-t-il. Dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans ? C’est cela qu’il faut être capable de résumer et d’exprimer, c’est la première priorité du dirigeant. J’ai eu le sentiment, au cours de ma vie professionnelle, d’avoir été confronté à divers enjeux de transformation. Comme chez Rhodia, qui se trouvait dans une situation extrêmement difficile, et qu’il fallait redresser pour repartir. La question nous était posée : comment construire une position gagnante ? » Jean-Pierre Clamadieu ne perd pas de temps. Son adage ? La vitesse. « C’est une valeur positive dans un métier comme la chimie, explique-t-il dans les colonnes de Challenges. Plus tôt on apporte les réponses, mieux on se porte. » La cure est drastique – en termes de suppression d’emplois et de cessions d’actifs – mais salutaire pour le groupe dont les comptes se retrouvent dans le vert en moins de deux ans. La sphère boursière salue alors son travail.
De Solvay à Engie, une trajectoire toute tracée
Depuis, sa trajectoire a suivi une même courbe ascendante. Rhodia est avalé par le chimiste belge Solvay dont il prend les commandes, sur les conseils d’un ami proche, Gérard Mestrallet, alors président du conseil d’administration d’Engie. Ce détour par la Belgique le propulse parmi les PDG qui comptent sur la scène internationale. « Au fil de ma carrière, quand je regarde en arrière, je revois de très grandes transformations, ainsi que des transformations plus modestes, se souvient Clamadieu, qui devient président du comité exécutif de Solvay en 2012. C’est aussi un plaisir fort de se retourner et de se dire que l’on a réussi à relever les challenges en embarquant tout le monde. Encore une fois, la transformation, ce n’est pas exclure, ce n’est pas laisser des gens sur le côté. Au contraire, c’est faire en sorte que chacun trouve comment y contribuer. »
En 2016, son nom circule déjà pour prendre la succession de Gérard Mestrallet à la tête d’Engie, bientôt atteint par la limite d’âge. C’est donc tout naturellement qu’il se retrouve en pole position début 2018, sur les listings de l’Elysée, pour succéder à Gérard Mestrallet. Celui-ci pousse sa candidature, Emmanuel Macron – qui a le dernier mot pour les nominations à la tête des grandes entreprises françaises en tant que président de la République – acquiesce avec plaisir. Clamadieu correspond en tout point à ce que le président attend d’un grand patron.
Clamadieu, ou la culture des (bons) réseaux
Parallèlement à ses activités industrielles en Belgique et en France, Jean-Pierre Clamadieu endosse le costume de responsable de la commission développement durable du Medef (2007-2014). Le nouveau président d’Engie siège également au conseil d’administration d’Axa et Airbus, tout en étant membre du Conseil international des associations de chimie (ICCA) et du comité exécutif du World Business Council For Sustainable Development (WBCSD). Il fait aussi partie de plusieurs regroupements de chefs d’entreprises comme le Cercle de l’industrie, l’Association française des entreprises privées (AFEP), la Table ronde des industriels européens (ERT) ou encore le Siècle, qui réunit personnalités politiques, économiques, culturelles et médiatiques. Autant d’atouts dans sa manche au moment de son retour en France pour prendre les rênes d’Engie. Dernière pièce de l’édifice : Jean-Pierre Clamadieu a également été nommé par l’Elysée au conseil d’administration de l’Opéra Garnier, où le Tout-Paris se presse. L’industriel a très bien su façonner sa zone d’influence.
Engagée depuis 2015 dans un processus de transformation imaginé par Mestrallet et mis en application par la directrice générale d’Engie Isabelle Kocher, Engie se veut aujourd’hui leader mondial dans la transition énergétique. Fort de son expérience, Jean-Pierre Clamadieu est donc arrivé dans une entreprise en pleine restructuration, une étape qu’il a connue par le passé chez Rhodia ou Solvay. Mais l’entrepreneur souhaite pousser la logique encore plus loin, et apporter sa touche au processus. En mars dernier, il a par exemple remodelé le conseil d’administration.
Sous son impulsion, les actionnaires d’Engie espèrent surtout voir leurs dividendes repartir à la hausse après plusieurs années mitigées. Cela pourrait passer pas des cessions de certaines branches non stratégiques à ses yeux. Depuis l’adoption de la loi Pacte, l’Etat peut en effet se désengager – totalement ou partiellement – des entreprises présentes dans son portefeuille. En quête d’argent frais pour financer des projets innovants chers à l’actuel ministre de l’Economie Bruno Le Maire, l’Etat pourrait donc s’appuyer sur Jean-Pierre Clamadieu (dont Bruno Le Maire avait lui aussi soutenu la candidature en 2018) pour scinder le groupe en plusieurs entités. Tous les scenarii sont sur la table.