Lorsqu’on prend la décision de lancer son entreprise et que la question du financement se pose, le panneau lumineux « crowdfunding » (ou « financement participatif » pour les followers de l’Académie française) s’anime comme les LED de Las Vegas. Ou comme le chant des sirènes aux abords de la côte. Ou le buffet pantagruélique offert par Hadès lors d’une visite des enfers.
Vous l’aurez compris : derrière sa façade dégoulinante de facilité le crowdfunding sans contreparties financières est un morceau juteux à croquer avec beaucoup de précaution, car le tout peut rapidement virer à l’indigestion !
En vogue depuis quelques années, le financement participatif est présenté par les pontes de l’entrepreneuriat comme un levier salutaire pour les jeunes entrepreneurs. Le principe : via une des plateformes dédiées (Ulule, KissKissBankBank pour l’Europe, Kickstarter pour l’Amérique), vous proposez à la foule (crowd) de financer votre projet (funding) via des contributions en l’échange de contreparties non financières (goodies, pré-ventes de vos produits) que vous définissez en fonction de seuils de participation. Et les bénéfices sont nombreux :
- Lever de l’argent sans rogner sur sa possession de l’idée et sans engager de crédit bancaire.
- Fédérer une communauté de contributeurs et de soutiens autour de son projet
- Tester son idée et l’améliorer en fonction des retours critiques
- Identifier des acheteurs potentiels
En gros : le meilleur moyen de lancer son idée avec une prise de risque limitée, l’aubaine pour des entrepreneurs novices qui mettent parfois entre parenthèses un CDI et ne disposent pas des relais bancaires pour se lancer. Les statistiques sont elles aussi vertigineuses et plus qu’alléchantes : en 2016, 629 millions d’euros ont été collectés sur des plateformes de finance participative en France (source : Café de la Bourse), 66% de réussite chez Ulule en 2017 (source : Ulule), 54% chez KissKissBankBank depuis l’ouverture de la plateforme, 69% en 2017 (source : KissKissBankBank).
Moi, comme d’autres, attirée par ce miel scintillant devant mes 3000 yeux, je me suis ruée sur l’occasion non seulement d’éviter les refus bancaires à répétition et la liquidation de mes économies, mais aussi de tester ce que j’ai de plus personnel : ma vision artistique. Résultats après 30 jours de campagne : 563 actualisations de ma page Ulule chaque jour pour guetter le moindre euro supplémentaire, des nuits blanches, 3 kilos perdus, de grosses remises en question, des torrents de larmes, quelques déceptions, de géantes bonnes surprises, 1789 mails envoyés, un embargo de la part de Facebook pour suspicion de spam, la redécouverte de Linkedin, et au final une campagne réussie sur le fil !
Voici un mois que s’est achevée cette aventure que je n’imaginais pas aussi éprouvante et chronophage. Et depuis ces 30 exacts jours, j’essaye de me figurer comment restituer mon expérience non seulement pour moi mais aussi pour celles et ceux qui souhaiteraient se lancer dans cette entreprise et cela de façon ludique.
Mon projet a certes réussi mais m’a donné de grosses sueurs froides, j’aimerais vous les éviter en vous présentant une liste aussi objective que possible sans laquelle votre collecte pourrait rapidement se transformer en Shining puissance 10.
**1- Ne pas identifier au préalable les contributeurs fiables de votre entourage proche
Toutes les plateformes et les articles vous le diront : une campagne réussie se fonde sur la participation de votre entourage proche (famille, amis, collègues) dès les premiers jours (pour ne pas dire les premières heures) ! J’irai même plus loin : si votre cercle ne vous soutient pas, à moins d’avoir une idée vraiment phénoménale et beaucoup de chance, vous risquez l’échec ! Pour éviter les déconvenues, identifiez bien en amont celles et ceux qui veulent et peuvent réellement devenir vos contributeurs dès le départ. Prenez les à part et expliquez-leur clairement les enjeux de votre campagne pour que votre cercle numéro 1 prenne au sérieux votre entreprise et leur pouvoir sur sa réussite. Vous pourriez tomber lourdement de la marche de votre certitude si vous ne faites pas ce travail préalable… Sachez que sur certaines plateformes (comme Ulule), un projet ne devient public que lorsque le seuil de cinq contributeurs est atteint. N’ayant pas assuré cette préparation, je n’ai pour ma part atteint ce nombre qu’après deux jours, contre quelques heures pour la majorité des projets…
2- Ne pas estimer au préalable le nombre de participants potentiels
C’est un peu la suite de l’écueil précédent. Certes votre projet sera public et des personnes inconnues de votre cercle seront à même de participer, mais croyez-moi, restez humble vis-à-vis de vos potentiels futurs contributeurs. Pour ma part, seules des personnes qui me sont connues ont participé… Définir ce nombre vous aidera notamment à caler de la manière la plus juste possible le montant le plus probable que vous pourrez atteindre, sachant que la moyenne des cotisations est estimée à 50 euros… Exemple : pour un palier de 10 000 euros, il vous faudra rassembler 200 personnes au moins autour de votre projet. Ce nombre est-il accessible grâce à vos cercles ?
3- Demander trop d’argent
Cf le point précédant.
4- Ne pas expliquer le principe d’une campagne de crowdfunding en amont (et donc faire passer votre collecte pour de la charité. Aïe)
Des articles sur le crowdfunding, vous en avez épluché mille avant de lancer votre aventure, vous connaissez les success stories par coeur et avez copié leur présentation. Bref, vous êtes incollable sur le crowdfunding à la veille de votre lancement. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Prenez donc le temps d’expliquer ce qu’est le crowdfunding/financement participatif/financement par la foule dans vos premières communications. Choisissez vos mots en fonction du public, de la génération… Le risque sinon ? Une réelle incompréhension quant à votre démarche : beaucoup de gens peuvent y voir une demande d’aumône. Et croyez-moi, cela ne fait pas plaisir d’être perçu comme un quémandeur plutôt qu’un jeune entrepreneur fougueux et plein d’initiative. Le crowdfunding a ceci d’extraordinaire qu’il vous permet d’entraîner dans votre projet entrepreneurial des gens vraiment intéressés par ce que vous faîtes : rappelez-le à votre entourage et vos potentiels contributeurs. Les malentendus peuvent être nombreux et tuer dans l’oeuf la campagne. C’est l’une de mes plus grandes erreurs qui a eu pour principale conséquence un effet rebond inexistant : mes contributeurs étaient peu enclin à parler de mon projet à leur cercle, y voyant une simple collecte d’argent et non la participation à un projet innovant. Aïe.
5- Ne pas faire de soirée de lancement et de clôture
C’est sans doute l’écueil des entrepreneurs trop habitués à travailler seuls (comme moi). On se focalise sur le site, le produit, la présentation du projet, la définition de contreparties attractives… et on oublie la communication physique. Certains projets de crowdfunding ont atteint leur objectif en une soirée de lancement… C’est le meilleur moyen d’ameuter un maximum de personnes de votre cercle dès le début et de les faire participer en commun. L’émulation d’un tel événement donnera également la volonté aux réfractaires de contribuer dès le départ et vous permettra d’exposer plus clairement votre projet.
Une soirée de clôture à quelques jours de la fin de la campagne peut avoir le même effet pour augmenter vos chances d’atteindre votre palier voire de le dépasser.
Un conseil : prévoyez ces dates en avance pour une organisation optimale sans accroc le jour J et un remplissage maximal !
6- Débuter votre collecte à une semaine de la fin du mois
Ma campagne a démarré un 22 juin. A la veille des vacances d’été, beaucoup de mes amis ont déclaré forfait en attente de leur salaire de juillet. Résultat : une semaine de campagne perdue. Tout est dit : lancez-vous peu de temps après la réception de la paie, c’est mieux !
7- Faire campagne seul
Je l’ai écrit plus haut, je suis pour le moment assez seule dans mon aventure entrepreneuriale. Grâce à mon expérience en tant qu’ingénieur Télécom, j’ai la chance d’avoir à mon arc plusieurs compétences utiles même dans le cadre d’un projet créatif. J’ai développé mon propre site, réalisé le suivi de projet, complété la compta, filmé et monté ma vidéo de campagne, fait le shooting, retouché les photos sur Photoshop, géré mes comptes Facebook, Instagram, Twitter pour la communication, organisé les événements de présentation de ma collection, assuré le suivi en anglais de la conception des vêtements avec mes confectionneurs portugais… Vous voyez où est le problème ? Déléguez ! Embarquez votre soeur, votre frère, un stagiaire, un bénévole dans votre aventure. Faites-vous aider sinon vous ne dormirez pas et ferez tout à moitié. J’ai pour ma part bien compris la leçon, par conséquent, si ça vous dit, je cherche des stagiaires pour le lancement de la marque dans deux mois 🙂 (
[email protected]) !
8- Ne pas atteindre les 40% après une semaine de campagne
Ceci est suggéré dans tous les articles recensant les bons réflexes pour réussir sa campagne de crowdfunding, mais il faut savoir lire entre les lignes : l’effet mouton x boule de neige est le catalyseur d’une levée de fond de type crowdfunding. Et ce n’est pas insulter les potentiels contributeurs que de l’écrire. L’être humain est comme ça dans sa grande majorité : nous agissons uniquement quand nous voyons les autres le faire en cas de risque, et débourser son argent en fait partie. Votre projet peut être super intéressant mais si votre jauge de contribution ne décolle pas assez vite, un potentiel contributeur doutera de votre succès et de l’intérêt réel de votre idée, car non encore validée par un nombre conséquent de personnes. C’est cruel, mais c’est comme ça. D’où l’importance dès les premiers jours de mobiliser un maximum de monde dans vos cercles pour atteindre au moins 30% à 40% de l’objectif final. Un exemple : j’ai atteint les 98% à deux jours de la fin de ma campagne. Ce seul score m’a valu une dizaine de contributeurs supplémentaires dans la journée, ce qui n’était pas arrivé en 28 jours de campagne. Pourquoi ? Parce que à cet instant-là, les potentiels contributeurs ont perçu une sorte d’approbation de mon projet et surtout sa possibilité de réussite, soit la diminution de leur risque… CQFD.
9- Se laisser démoraliser par les trolls
Vous ne pouvez pas vous attendre à un enthousiasme absolu à chaque fois que vous parlerez de votre projet et de votre campagne. Les personnes négatives, quelle que soit leur motivation, jalonneront votre parcours, avant, pendant et après votre campagne. Gardez la tête froide, entourez vous de bonnes âmes qui sauront être critiques et vous tirer vers le haut, ne retenez que ce qui est constructif et vous permettra de faire avancer votre projet.
Florilège de ce que j’ai entendu :
- Tu quémandes de l’argent, lol
- De nos jours les gens demandent vraiment de l’argent pour tout et n’importe quoi
- C’est pas un truc de Blancs, ça ?
- Le wax, c’est pour les bobos parisiens
- Euh, c’est mort ton idée, il y a trop de concurrence
- Untel fait une meilleure campagne parce que la mode et la communication, c’est vraiment son métier, tu vois ?
- Tu es qui ? Tu n’es pas mon ami et tu me demandes de l’argent ?
- Je n’aime pas le crowdfunding
- C’est chaud de demander aux gens de financer ton projet perso, c’est pas comme si tu avais besoin d’un rein
- Tu ne peux pas prendre un crédit bancaire comme tout le monde ?
- Ce n’est pas grave si tu rates ta campagne, après tout, tu ne viens pas du bon milieu social pour en réussir une
- Tu n’aurais pas dû faire une campagne de crowdfunding, personne ne te donnera de l’argent
- Je ne suis pas à l’aise à l’idée de parler de ta campagne autour de moi, je n’aime pas demander de l’argent aux gens
- (Silence radio)
10- Choisir la mauvaise plateforme
Même si l'équipe Ulule a été aux petits soins, c’est une question que je me pose encore : proposer un projet en lien avec la création de mode était-il approprié sur Ulule ? En effet, il est important de s’interroger sur le type de thématique qui suscite le plus d’intérêt selon la plateforme. Les communautés sont aussi variées que les appétences. Prenez le temps d’identifier la plateforme qui recense le plus de projets réussis dans le même domaine que votre idée. Avec du recul, j’aurais peut-être tenté Kiss Kiss Bank Bank ou une plateforme spécialisée dans la création textile.
11- Communiquer sur votre projet au petit bonheur la chance
La communication fait partie intégrante de votre campagne alors ne la jouez pas aux dés. Etablissez un rétro-planning qui comprendra la fréquence de vos publications sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter vous permettent même de les planifier à l’avance), des relances par mail et des événements susceptibles d’amener plus de contributeurs (concours, présentation physique, vente flash, etc.). Pour ma part, je n’ai compris cela qu’en milieu de campagne après des publications au petit bonheur la chance. Trop tard.
12- Avoir un projet, des contreparties et une vidéo pourris
Bon, pas besoin de dessin pour ce point-là, n’est-ce pas ? Mais petite nuance néanmoins : une campagne présentant un produit moyen, moyennement présenté mais fédérée par une puissante communauté peut quand même réussir et parfois avec brio. Je ne le répéterai jamais assez : un entourage fiable et proactif est la principale clef du succès d’un projet de crowdfunding.
Voilà pour cette liste non exhaustive bien sûr mais regroupant mes principaux écueils durant cette aventure riche en émotions !
Si mes contributeurs me lisent, encore un grand merci pour votre prise de risque, même quand la jauge était plus que basse 😉
Et vous ? N’hésitez pas à partager votre expérience en commentaire si vous êtes aussi passés par là ou si vous avez besoin d’informations complémentaires !
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