Je pose ça ici.
Sur Facebook, il y a quelques années, un de mes contact avait demandé à qui voulait, d'écrire une courte histoire de plus ou moins 3 ou 4 pages inspirée par cette simple photo. J'avais écris ce qui suit en quelques heures.
Le vieil homme.
J'étais là, immobile, à contempler le paysage devant moi. Plongé dans mes pensées, imaginant le cri d'un enfant qui joue au ballon, tout près, le clapotis de l'eau qui éclabousse, dans la piscine ou le crissement d'une chaise que l'on écarte de la table d'une terrasse là-bas, plus loin.
Il fût un temps où ces bruits emplissaient le cœur de ceux qui venaient ici, au Belvédère pour passer un agréable moment, quelques minutes à peine ou une après-midi entière, en famille ou entre amis.
Quand c'était l'temps d'avant, comme le dit la chanson.
Maintenant, il n'en reste plus rien. Ou plutôt, si. Il en reste les feuilles mortes, les briques en passe de l'être totalement de même que le ciment tombant en poussière. Il reste l'âme de ce jadis pas si lointain.
Bientôt, la modernité mécanique va se mesurer à l'antique ensemble des lieux dans un combat inéquitable. Pour en actualiser le contenu, paraît-il.
Quelques souvenirs me revenaient en mémoire. Combien n'ai-je pas supplié mes parents de venir ici, étant enfant, retrouver mes copains Bou, Metti, Oli et Steph, pour plonger ensemble dans la piscine ou pour rejouer les grands matchs de foot de la belle époque. Souvenir dans le souvenir lui-même.
C'est au moment même où me remontaient ces lointains détails de ma vie que je le vis, ou plutôt, que je me rendis compte de sa présence. Se trouvait-il là depuis mon arrivée ? J'étais incapable de le dire. En fait, il était là, comme peut être là dans une quelconque forêt un arbre que l'on ne remarque que lorsque l'on se donne la peine de l'observer seul, tiré de l'ensemble de verdure dont il fait partie.
L'homme se tenait là, immobile, comme cherchant autour de lui tout en donnant l'impression de savoir exactement où il devait aller.
Il présentait de manière fort noble, quoi que d'un autre temps. Un costume noir, seyant, de style ancien, probablement taillé sur mesure lui rendait fière allure. Accouplé à un haut de forme, cette combinaison vestimentaire lui prêtait une silhouette élancée, bien bâtie et ferme sur ses jambes. Sa chevelure et sa longue barbe, toutes deux grises, attestant d'un âge avancé, séparaient le chapeau du costume.
Je continuais à l'observer alors qu'il fit un grand pas solennel, comme pour enjamber une quelconque imperfection du sol, tout en se dirigeant vers les restes de ce qui fût en d'autres temps la piscine. En ayant fait presque totalement le tour, il s’arrêta net, considérant un instant le fond de celle-ci. Il s’accroupit alors, posa un genou sur le bord et tendit la main vers le bas comme pour attraper un objet, tâtant le long de la paroi.
Intrigué par son comportement, je m'approchais à l'opposé du bac vaseux, faisant face au vieux bonhomme. Celui-ci, plongé dans son affaire ne me remarqua pas.
- Bonjour ! lui criais-je.
- Ah, tiens ! Bien le bonjour à vous, Monsieur. Me permettez-vous un instant ? me répondit-il, esquissant un léger sourire.
- Mais je vous en prie.
Après quelques secondes, je le vis se relever lestement, d'un seul mouvement. Le fait étrange est qu'il avait à présent une valise à la main.
- Tout va comme vous voulez ? me permettais-je de lui demander.
- Assurément, mon bon Monsieur. Je l'ai enfin trouvée. Quoi que celle-ci ne fût pas des plus ardues à récupérer.
- Je vous demande pardon ?
- Oui, dit-il plus bas, comme se parlant à lui-même, beaucoup d'autres m'ont donné bien du fil à retordre.
- Beaucoup d'autres ?
- Pensez-vous donc ! reprit-il. Celle-ci n'est assurément pas la première et sera encore moins la dernière.
- Qu'est-ce donc que cette chose ?
- A n'en pas douter, je jurerais qu'il s'agit d'une valise !
- Ça Monsieur, je m'en aperçoit bien ! Je voulait dire : qu'est-ce donc que cette valise ?
- Ah, cela, voyez-vous, ce peut être une seule et unique chose et une multitude d'autres choses à la fois !
Je ne comprenais pas.
- Ceci, reprit-il, tout en faisant le tour de la piscine d'un pas long et quelque peu protocolaire pour venir me rejoindre, ceci peut contenir tout un tas d'éléments semblables ou dissemblables, importants ou insignifiants, considérables et graves ou au contraire drôles voir parfois totalement grotesques.
- C'est à dire ? lui dis-je, cherchant à entrevoir un soupçon de compréhension dans ses paroles insensées.
- Ne vous est-il jamais arrivé, mon cher Monsieur, de laisser aller en vous-même bon nombres d'idées totalement décousues, sans aucunes liaisons entre elles, sur quelques sujets que ce soit ?
- Cela m'est arrivé, oui, mais je ne vois pas bien en quoi cela pourrait m'éclairer.
- Ceci est exactement pareil.
- Ceci n'est qu'une valise !
- Vous dites que ceci n'est qu'une valise parce que vous ne voyez qu'une valise, mon cher Monsieur.
Je commençais à douter sérieusement des capacités mentales du vieux bonhomme qui se tenait là, devant moi. D'où pouvait -il bien sortir ?
- Me tromperais-je en disant que je vous sens quelque peu sceptique ? me dit-il.
- Avouez que vos propos sont plus qu'intrigants.
- Marchons ensemble quelques instants au grès du paysage et accordez-moi, si vous me permettez, quelques brèves précisions.
Tout en tendant la main devant lui, le vieux monsieur m'adressa un sourire en inclinant la tête sur le côté, signe d'une invitation à l'accompagnement.
- Mais d'abord, qui êtes-vous ? lui demandais-je tout en marchant, parcourant le sol des yeux.
- Il serait plus pertinent de demander « Qu'êtes-vous ? »
Je m'arrêta net, le regardant, déconcerté par sa réponse, le visage froncé, incapable d'articuler quoi que ce soit, ce qui le fit se retourner vers moi, l'œil empli de malice.
- Vous avez bien entendu. La question à laquelle je puis vous répondre serait plutôt
« Qu'êtes-vous ? » - Et... qu'êtes-vous donc alors ?
- Très bonne question, il est vrai ! répondit-il en souriant, comme si la question, attendue de lui depuis un court instant avait servi à déclencher un petit effet comique.
- Je suis vous.
- Moi !?
- Oui, vous. Je suis vous. Et je suis eux.
- Eux ? Qui ça eux ?
- Eux, voyons. Peu importe qui exactement : votre boulanger, votre voisine, l'homme dont vous avez croisé un jour le chemin, comme l'homme dont vous ignorez l’existence et qui habite à des milliers de kilomètres d'ici, à l'autre bout du monde, par exemple.
Je suis tous, en fait. Tous, partout sur cette terre. Et de ce fait, il est de mon devoir de récupérer ceci.
Tout en terminant sa phrase, il indiqua la valise qu'il tenait dans la main, relevant un peu le bras.
- Mais qu'y a-t-il dans cette valise ?
- Je vous l'ai dit : un tas de choses. Il s'agit en fait de souvenirs.
- De souvenirs ? Mais, de souvenirs de quoi ?
- De souvenirs de nombreuses choses. De toutes choses, à dire vrai. De souvenirs issus de tous de par les faits et les gestes, de par leurs présences aux endroits ou événements résultants de ces faits et gestes. En fait, de tout ce qui à permis à l'homme de tisser de ses actes l'histoire dans ce qu'elle a de plus heureux et bienveillant ou au contraire dans ce qu'elle permet de plus sombre. Et ce, depuis que l'Homme est Homme.
- Comment tout ceci est-il possible ? lui demandais-je alors.
- Tout ceci est possible pour la simple et bonne raison que tous ont été, tous sont et tous seront toujours. Mais tous oublient de façon non intentionnelle. L'homme, comme vous le savez, a une fâcheuse tendance à mourir ! Il en va ainsi de la vie, personne ne peut rien contre cela. Et si je n'étais là disparaîtrait avec lui le souvenir personnel resté dans un coin de son âme. Je récupère donc les nombreux souvenirs ici ou là en chaque partie du monde au fil du temps, de leur création, avant qu'il ne soit trop tard. J'en prend connaissance et les classe. De cette façon, chacun d'entre vous apporte indubitablement sa pierre à l’édification du souvenir perpétué, de sorte que celui-ci puisse ne jamais tomber dans l'oubli.
Je restais là, stupéfait par ses explications, tombant dans une réflexion profonde, ressemblant plus à de l'étonnement.
- Mais il va me falloir déjà bientôt vous quitter, repris le vieil homme. Non pas que votre compagnie me soit désagréable. Mais vous imaginez bien qu'il me reste maints devoir à accomplir de par le monde afin de récupérer tous ces souvenir issus de chacun d'entre vous tous. La tâche n'est point aisée et encore moins éphémère.
Le vieil homme me serra une main vigoureuse, m'adressant un signe du coin de l'œil à peine perceptible.
- Au plaisir de vous revoir, me dit-il chaleureusement, serrant le bord de son chapeau.
Puis, se retournant, il s'éloigna vers l'endroit où je l'avais aperçu pour la première fois. Je restai là, immobile le regardant s'en aller.
- Au fait, dit-il, s’arrêtant et se tournant une dernière fois vers moi, vous me demandiez tantôt qui j'étais. Je ne puis que partiellement répondre à votre question en vous donnant un de mes nombreux noms. Il arrive que l'on me nomme Memoro, ce qui signifie La Mémoire.
Mon visage s'éclaira soudain. Je compris en l'espace d'un instant chacun de ses propos, pourquoi il m'avait dit être moi et eux en même temps. Le vieil homme faisait partie de nous tous. Il était en effet en chacun de nous.
Il se remit en route, s'éloignant un peu plus à chaque pas, retournant à son devoir de Mémoire.
FIN
C'est joliment écrit, l'histoire est intéressante, à un moment j'étais un peu perdu et tout s'explique à la fin. J'adore !
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Merci, ça me fait vraiment plaisir. Si ça plaît au moins à une personne, c'est pari gagné pour moi!
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