Une empreinte pour la vie.
« … Les insuffisances de notre description s’effaceraient sans doute si nous pouvions déjà mettre en œuvre, à la place des termes psychologiques, les termes physiologiques ou chimiques… La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées : nous devons nous attendre à recevoir d’elle les lumières les plus surprenantes et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnerait dans quelques décennies aux questions que nous lui posons. Ces réponses seront peut-être telles que tout notre édifice artificiel d’hypothèses s’écroulera comme un château de cartes. »
Freud, 1920
1Le concept d’attachement fut introduit dans le champ psychothérapeutique en 1972 lors de la parution du Colloque imaginaire autour de la théorie de l’attachement, organisé par René Zazzo. Des textes sont échangés à partir de son article « une nouvelle théorie sur les origines de l’affectivité ». C’est ainsi que des éthologistes (Chauvin, Harlow, Lorenz), un pédopsychiatre, (Koupernik), un psychologue de l’enfance (Malrieu) et des psychanalystes (Anzieu, Bowlby, Duyckaerts, Lebovici, Spitz, Widlöcher) exposèrent leur propre point de vue sur l’existence, la portée et les conséquences théoriques de l’attachement comme pulsion ou besoin primaire. L’attachement, un principe éthologique désignant un lien d’un individu à un autre, devint ainsi appliqué à la psychologie humaine. Charles Darwin et John Bowlby sont considérés comme les premiers théoriciens du concept : l’attachement a un avantage sélectif. En effet, la proximité d’adultes protecteurs sert dans la lutte contre les dangers de l’environnement. Il est surprenant de découvrir à quel point les éthologistes de l’époque cèdent aux tentations de l’anthropomorphisme dans leurs interprétations, confondant trop souvent amour et attachement. Leurs observations ont cependant le mérite de révéler de façon rigoureuse que l’attachement n’est pas propre à notre espèce. Il existe également dans la prime enfance de nombreux mammifères et de certains oiseaux. A cette époque les travaux de Harlow et de Lorenz sont déjà connus. En 1958, dans un article intitulé “The Nature of Love”, Harlow, un éthologiste américain spécialisé dans l’étude des jeunes rhésus, met en évidence le rôle secondaire de la nourriture dans le lien entre mère et enfant. Chez le bébé-singe, la recherche de nourriture est volontiers sacrifiée à la recherche du contact avec la mère. En donnant au bébé-singe des substituts de mère, Harlow démontre expérimentalement la prévalence du contact (fourrure, chaleur) sur les activités liées à la faim. Il démontre aussi que des femelles « orphelines », suite à des expériences d’isolement total institué, sont insensibles aux mâles qu’on leur présente, et quand elles deviennent mères (par fécondation artificielle), elles ignorent leur enfant, le brutalisent ou même, si on n’y prend pas garde, le tuent.
2Dès le milieu des années 1930, Lorenz a observé le phénomène d’empreinte et s’est employé à montrer qu’il peut y avoir chez les oiseaux adultes, lien sans sexualité et sexualité sans lien (Lorenz, 1935, 1989).
3Pour Zazzo (Zazzo et al., 1979), « l’hypothèse que ces observations imposent est l’inverse de celle de Freud. Pour lui, c’est la libido, la pulsion sexuelle qui graduellement conduit à l’amour, l’amour qui en fin de compte n’est qu’un moyen pour atteindre le plaisir. Dans la nouvelle perspective, pour les animaux supérieurs et pour l’homme, l’amour est originel, en deçà de la sexualité et c’est cet amour, garant de confiance et de sécurité qui prépare à la sexualité, à ses préludes, ses jeux, ses accomplissements, et aux amours d’un nouvel ordre. »
Vers une neurobiologie de l’attachement
4Des progrès considérables ont été réalisés ces dernières années dans la connaissance de la neurobiologie de l’attachement. Deux peptides, la vasopressine et l’ocytocine fonctionnant à la fois comme hormone et neuromodulateur, sont particulièrement impliqués. Ces deux neuropeptides sont produits dans deux noyaux de l’hypothalamus par de grands neurones dits magnocellulaires et sécrétés dans la circulation sanguine par la neurohypophyse. Ils font alors fonction d’hormones. Ils sont également synthétisés par des petits neurones situés à la fois dans ces deux noyaux de l’hypothalamus et dans d’autres régions du cerveau. Des terminaisons axonales de ces différents neurones sont localisées dans différentes régions du cerveau : l’hippocampe, les noyaux de la base, les structures limbiques, le système olfactif et le tronc cérébral (de Vries & Buijs, 1983). C’est ainsi qu’ils agissent sur deux systèmes dont le rôle est essentiel dans l’évolution des espèces : les circuits amygdalien et hippocampique du stress et le circuit mésolimbique dopaminergique du plaisir et de la récompense.
Attachement maternel
5L’ocytocine est libérée au moment de l’accouchement pour assurer les contractions utérines et celles des petits canaux galactophores libérant le lait par voie réflexe lors de la succion du mamelon par le nouveau-né. Chez les mammifères, l’attachement et le comportement maternel varient considérablement selon l’espèce. À l’exception de l’humain, ils s’estompent dès le sevrage, quand le taux d’ocytocine se réduit.
6Il est connu que l’injection d’ocytocine dans le cerveau de rates vierges induit toute la panoplie du comportement maternel avec les petits (Pedersen et al, 1982 ; Insel et Young, 2001). Elles les acceptent sans agressivité, les protègent, les nourrissent. Par contre, l’injection d’un antagoniste sélectif de l’ocytocine dans différentes régions du cerveau – l’aire tegmentale ventrale, l’aire préoptique médiane ou le bulbe olfactif – peut bloquer ce comportement (Insel, 1990 ; Pedersen et al., 1994 ; Young & Wang, 2004).
7Contrairement à la rate dont les soins maternels peuvent être intenses mais non sélectifs à sa portée, la brebis constitue un modèle rigoureux d’attachement car elle est sélective et rejette tout agneau qui n’est pas le sien. Chez la brebis, la libération d’ocytocine est déclenchée par la stimulation vagino-cervicale uniquement chez la femelle « expérimentée » (déjà mère) (Kendrick et al.,1987 ; Levy et al., 1995 ). L’injection d’ocytocine dans le cerveau peut faciliter l’acceptance d’un agneau étranger (Kendrick et al., 1987 ; Keverne & Kendrick 1992) et l’injection de son antagoniste supprime le comportement maternel (Insel et al., 1997). Chez la brebis, différentes régions impliquées dans l’établissement du lien ont été identifiées comme l’illustre la figure 1 (Da Costa et al., 1996 ; Kendrick et al., 1997 ; Broad et al., 1999).
Figure 1
Figure 1
Qu’en est-il chez l’humain ?
8Des études d’imagerie cérébrale ont montré une région particulièrement activée chez des mères à qui l’on présente les photos de leurs enfants : la substance grise périaqueducale (Bartels & Zeki, 2004). Or celle-ci, riche en récepteurs à l’ocytocine et à la vasopressine (Jenkins et al., 1984) est connue pour jouer un rôle dans l’inhibition de la douleur, en particulier au moment de l’accouchement (Lund et al., 2002). Chez le rat, la désactivation de cette aire supprime le comportement maternel (Pedersen et al., 1994).
9L’ocytocine semble donc jouer un rôle important dans l’attachement maternel.
Attachement du couple
10« Le couple n’est pas l’apanage des héros mythiques. La monogamie est un trait de l’espèce humaine qu’elle partage avec 5 % des mammifères. Les oiseaux sont les champions de la conjugalité. L’exemple de l’albatros est célèbre : à la mort d’un conjoint, l’autre reste fidèle à sa mémoire et souvent se laisse mourir tel le pauvre monsieur Bovary. Des poissons, notamment de nombreux cichlidés comme les scalaires vedettes de nos aquariums, vivent en couple et ne remplacent pas le partenaire disparu. Dans beaucoup de ces cas, la monogamie associée à la territorialité s’explique aisément par sa valeur adaptative en termes de succès reproductif. On pourra toujours comparer les mérites respectifs de la monogamie et de la polygamie, de la fidélité et de l’adultère chez l’homme en vue d’accroître l’aptitude globale : dans un contexte de rareté des partenaires sexuels, il est par exemple utile de garder le même, ou, en cas de promiscuité, d’en changer pour favoriser le brassage des gènes, etc. Ces approches socio-biologiques ne sont pas dépourvues de solides bases scientifiques, mais expriment une telle variété de situations qu’un physiologiste risque d’y perdre le but de sa recherche : éclairer les mécanismes d’une fonction, dans ce cas présent, celle de l’attachement. » (Jean-Didier Vincent, 2003).
11Un progrès considérable dans la neurobiologie de l’attachement du couple a été favorisé par l’étude des campagnols, petits rongeurs de la taille d’une souris. Le campagnol des plaines du Middle West et le campagnol des pins sont monogames alors que le campagnol des prés et le campagnol des montagnes ne le sont pas. Chez ces rongeurs, la vasopressine et l’ocytocine jouent un rôle important dans l’attachement : la vasopressine chez les mâles et l’ocytocine chez les femelles.
12La vasopressine est par ailleurs connue pour son rôle clef dans la régulation de la tension artérielle. Lorsque celle-ci diminue, la vasopressine libérée par la neurohypophyse assure la rétention d’eau au niveau du rein.
13Chez les campagnols monogames, la vasopressine est essentielle à l’attachement du mâle à sa femelle et à ses petits (Young, 2002).
14La répartition des récepteurs cérébraux à la vasopressine n’est pas la même chez le campagnol monogame et le non monogame (Young et al., 1997 ; Lim, 2004), une plus grande densité en récepteurs vasopressinergiques V1a a été observée au niveau du pallidum ventral entres autres (Young et al., 1997 ; Lim et al., 2004).
15Chez le mâle, l’équipe de Larry Young a montré qu’en transférant le gène codant le récepteur de la vasopressine dans le pallidum ventral du cerveau des campagnols polygames, on conférait à ces mâles aux mœurs dissolues une soudaine préférence pour la monogamie. Inversement, l’injection dans le pallidum ventral de mâles monogames d’un agent bloquant l’activité des récepteurs de la vasopressine supprime net la monogamie. Ils deviennent volages, mais ils continuent à s’occuper activement de leurs enfants, les caressant, les léchant et se frottant à eux. Or, si on bloque ces récepteurs dans la partie médiane de l’amygdale (structure clef des émotions située dans le lobe temporal) tout en les laissant s’exprimer dans le pallidum ventral, on supprime au contraire l’attachement paternel, sans pour autant affecter la monogamie.
16Qu’en est-il chez les femelles ?
17L’équipe de Young a montré que la distribution des récepteurs de l’ocytocine chez les femelles comme celle des récepteurs de la vasopressine chez les mâles, n’est pas la même chez les femelles des campagnols monogames et chez leurs cousines opportunistes. De plus, l’injection chez les femelles de l’espèce monogame d’un antagoniste de l’ocytocine dans l’accumbens, structure située à l’avant du cerveau et proche du pallidum ventral, bloque la formation de liens stables avec un mâle.
18Chez le mâle comme chez la femelle campagnol monogame, la formation du couple tient à l’action d’un neurotransmetteur qui s’exprime dans une aire bien précise du cerveau. A chacun son neurotransmetteur et son aire : l’ocytocine et le noyau accumbens pour la femelle, la vasopressine et le pallidum ventral pour la mâle. En outre l’attachement de celui-ci pour ses petits dépend spécifiquement de l’expression des récepteurs de la vasopressine dans l’amygdale médiane. Le comportement maternel, lui, dépend de l’expression des récepteurs de l’ocytocine.
19L’ocytocine est par ailleurs libérée en abondance chez la femelle dans le sang pendant le contact physique et par la stimulation vagino-cervical, tant chez la brebis, le rat et le campagnol que chez l’homme (Insel & Young, 2001).
20Une première carte des concentrations des récepteurs de la vasopressine et de l’ocytocine dans le cerveau humain a été réalisée par l’équipe de Jenkins en 1984.
21Leur distribution dans le cerveau humain (Loup et al., 1991) est très différente de celle observée chez les campagnols. Cependant, les expériences réalisées par imagerie cérébrale montrent que la plupart des régions riches en récepteurs de l’ocytocine et de la vasopressine, identifiées par autoradiographie, sont activées par l’amour maternel et par l’amour romantique (Bartels & Zeki, 2004).
Attachement et protection contre le stress
22Les expériences montrent que l’attachement est associé à la chimie du stress et aux circuits cérébraux contrôlant le stress (Windle et al., 2004). Chez le campagnol monogame mâle, le stress forcé (on l’oblige à nager pendant 10 minutes) ou une injection de corticostérone (l’hormone du stress synthétisée par les surrénales) facilite la formation de liens avec une femelle. Chez la femelle, le même traitement inhibe la formation d’une préférence de partenaire (DeVries et al., 1996).
23Le stress et les corticoides ont donc des effets opposés sur l’attachement selon le sexe très probablement par le biais de l’ocytocine (diminuée chez les femelles) et de la vasopressine (augmentée chez les mâles).
24De plus, chez ce rongeur un supplément d’ocytocine a le même effet qu’une cohabitation réussie : la sécrétion de corticostérone est inhibée (Petersson et al., 1999). De même, des ratons séparés de leur mère se calment si on leur injecte de l’ocytocine (Insel et al., 1992). Si on administre de l’ocytocine pendant cinq jours consécutifs au rat, on constate que son taux de cortisol reste bas pendant plus de dix jours. L’ocytocine injectée augmente la synthèse des récepteurs au cortisol, situés dans l’hippocampe, structure frein de l’axe hypothalamo-hypophysaire du stress (Petersson & Uvnas-Moberg, 2003). Autrement dit, les hormones de l’attachement sont aussi des hormones anti-stress.
Attachement et plaisir
25La mise en œuvre des comportements vitaux est associée à l’activation d’un système hédonique souvent appelé système de récompense chez l’animal (Bozarth & Wise, 1981). Le désir de les mettre en œuvre serait donc lié au plaisir qu’ils procurent. Quel que soit le plaisir, il est associé à l’activation de ce système, à savoir la voie dopaminergique mésocorticolimbique qui s’étend du tronc cérébral (la tige du cerveau sur laquelle repose les deux hémisphères) au cortex frontal et à l’accumbens. La rencontre d’un partenaire, l’éloignement du prédateur, l’accès à la nourriture, un environnement excitant la curiosité, toute situation liée au plaisir, activent ce circuit chez l’animal et libèrent la dopamine dans l’accumbens, structure considérée comme la plaque tournante du système de récompense chez les mammifères (Ladurelle et al., 1995).
26Le rôle de la dopamine a été clairement mis en évidence dans l’action hédonique des drogues. Toutes les substances inductrices de plaisirs artificiels, la nicotine, l’alcool, les dérivés de l’opium (l’héroïne, la morphine), le cannabis, la cocaïne, l’amphétamine et son dérivé, l’ecstasy agissent sur le circuit mésocorticolimbique et déclenchent au niveau de l’accumbens, la libération de dopamine, la molécule naturelle du plaisir. Rappelons qu’il suffit de bloquer les récepteurs de l’ocytocine dans le noyau accumbens chez le campagnol femelle monogame, pour empêcher la formation d’un couple.
27Chez l’homme, le noyau accumbens n’est pas riche en récepteurs de l’ocytocine ou de la vasopressine, mais la plupart des aires activées lors des expériences d’imagerie cérébrale sur l’amour passion ou l’amour maternel font partie intégrante du système de récompense humain. La substance grise péri-aqueducale riche en récepteurs de l’ocytocine et de la vasopressine a des connections directes avec le cortex orbitofrontal activé par les stimuli plaisants tactiles, visuels ou olfactifs (Francis et al., 1999 ; Rolls et al., 2003 ; Kawabata & Zeki, 2004).
28Ainsi chez les campagnols comme chez l’homme, les aires du cerveau impliquées dans l’attachement font partie du système du plaisir.
Attachement, mémoire et lien social
29Comment l’attachement pourrait-il se produire sans mémoire ? Comment le lien pourrait-il se réaliser sans reconnaissance de l’autre ? Les travaux de Konrad Lorenz consacrés à l’observation des comportements de l’oie cendrée démontrent l’importance de « l’empreinte » ce mouvement qui pousse l’oison à s’attacher au premier être vivant qu’il rencontre, dans la vie de couple, la vie familiale ou la vie à l’intérieur d’un groupe. Chez les oiseaux nidifuges, le poussin s’attache au premier mobile qu’il perçoit. Il restera attaché, de façon quasi irréversible à « l’objet » qui l’aura marqué au début de sa vie.
30Ce comportement d’empreinte est aujourd’hui utilisé par les laboratoires pharmaceutiques pour tester l’effet mnésique de différentes substances. Une perception à un moment précis du développement cérébral laisse une trace indélébile. L’empreinte sera d’autant plus intense chez le petit rat et le caneton si l’appel sonore de la mère est associé à son image. L’empreinte est liée à toute une chaîne de modifications biologiques au niveau cérébral (Suge & McCabe, 2004) et laisse des traces jusqu’à l’âge adulte. La neurogénèse de l’hippocame impliquée dans l’apprentissage est diminuée chez les rats qui ont été séparés de leur mère juste après la naissance (Greisen et al., 2005).
31Le mâle et la femelle campagnols scellent leur lien par l’amour physique, pendant lequel l’ocytocine et la vasopressine sont produites en abondance, mais le lien établi transcende la sexualité. L’ocytocine et la vasopressine sont impliqués dans une condition sine qua non du lien social : la reconnaissance de l’autre. Les souris chez lesquelles le gène de l’ocytocine n’est pas exprimé sont frappées d’amnésie sociale (Lim et al., 2005). Ainsi les mâles mutés ne reconnaissent pas une femelle avec laquelle ils ont eu une ou plusieurs interactions prolongées. L’effet est étonnamment précis. Aucune autre incidence n’est relevée, ni sur les fonctions cognitives ni sur le système olfactif, considéré comme étant la voie maîtresse de l’identification de l’autre chez les rongeurs. En outre, l’effet est réversible : l’injection d’ocytocine dans une aire cérébrale bien précise de ces souris mutées, on restaure provisoirement leur capacité de reconnaissance sociale. Il a été également démontré que la présence de vasopressine dans certaines aires du cerveau est nécessaire à la reconnaissance sociale chez le rat. L’attachement entre deux mâles campagnols est facilité par une sur-expression du gène du récepteur de la vasopressine dans le pallidum ventral d’un des mâles. Des rats mâles supplémentés en ocytocine cérébrale accroissent leurs interactions avec les autres mâles (Bielsky & Young, 2004).
32La sociabilité fait partie des fonctions physiologiques fondamentales, garantes de la survie au même titre que la faim, la soif, la pulsion sexuelle, l’agressivité, la crainte du prédateur.
33En clinique, les amnésies comme celles rencontrées dans le syndrome de Korsakov ou le syndrome frontal, s’accompagnent très souvent d’une indifférence d’un détachement. Certains amnésiques n’accordent pas d’importance à ce qu’ils disent ou à ce que les autres disent ou font, comme si en fait plus rien n’avait d’importance. Le lien social se brise quand la mémoire fait défaut.
34La mémoire, l’ocytocine et la vasopressine interagissent pour assurer un rôle important dans la formation et le maintient des liens sociaux.
35Un facteur de variabilité au sein même du génome des campagnols a été découvert. Il ne s’agit pas d’une mutation au sens classique du terme mais seulement une variabilité naturelle dans l’expression d’un gène. Cette découverte découle d’une autre : l’extraordinaire variabilité individuelle de la distribution des récepteurs de la vasopressine dans le cerveau des mâles monogames. La partie codante du gène d’un des principaux récepteurs de la vasopressine est à 99 % identique chez tous les campagnols monogames ou non. Mais chez les deux espèces monogames, une région régulatrice de l’activité du gène contient une séquence d’ADN de longueur variable qui est pratiquement absente chez les espèces opportunistes (Young, 1999). Cette région contenant des séquences de DNA qui se répète est instable et sujette à des mutations rapides. L’équipe de Young estime que « ce dispositif fournit un mécanisme moléculaire capable de générer de la variabilité individuelle dans la répartition cérébrale des récepteurs à vasopressine ». Or, on retrouve cette même variabilité chez l’homme pour le gène du récepteur à vasopressine : une séquence très répétitive et très variable d’un sujet à l’autre (Thibonnier et al., 2000). Young (2002) en déduit que ce phénomène qui, du moins chez le campagnol, semble à la base du lien social, pourrait être impliqué dans des affections psychiatriques où le lien social est très perturbé tels l’autisme et la phobie sociale (Young, 2001 ; Lim et al., 2005).
Conclusion
36Depuis Lorenz, une avancée considérable s’est produite dans la compréhension des mécanismes cérébraux impliqués dans les phénomènes d’empreinte et d’attachement.
37Pour Antoine Guedeney (2002) l’attachement apparaît comme le concept clef de la moitié du XXe siècle, en psychopathologie et en psychologie.
38
« Il est né dans la violence des séparations et des carences précoces, au croisement des apports de la psychanalyse, de l’éthologie, des sciences cognitives, de l’informatique et de la cybernétique avec ceux de l’observation, de la reconstruction et de la mise en récit. Peu de théories ont eu un tel impact et une telle capacité de stimuler la recherche, une telle valeur prédictive sur les aspects majeurs du comportement social et relationnel de l’enfant, une telle puissance d’explication des phénomènes de transmission entre générations, une telle capacité de remodeler la conception de la psychopathologie et une telle dynamique d’évolution. »
39Notre connaissance en la matière, quoique grandissante, n’en reste pas moins limitée.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2006
https://doi.org/10.3917/ctf.035.0083
Lambert Nelle, Lotstra Françoise, « L'attachement. De Konrad Lorenz à Larry Young : de l'éthologie à la neurobiologie », Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2005/2 (no 35), p. 83-97. DOI : 10.3917/ctf.035.0083. URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2005-2-page-83.htm
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