Sentier de Charme, une sculpture pas comme les autres !

in fr •  7 years ago  (edited)

Bonjour à tous ! Aujourd'hui je me lance dans un texte sur l'oeuvre d'un artiste Italien Giuseppe Penone : Sentier de charme, 1986 – Bronze, charme.
Acquis par commande à l’artiste en 1986 Coll. Fonds régional d’art contemporain de Bretagne
imageArtist.flvcrop.768.5000.jpeg
Fondation Louis Vuitton / Xavier Lambours - 2012

http://www.fondationlouisvuitton.fr/content/flvinternet/fr/collection/artists/guiseppe_penone/jcr:content/imageArtist.flvcrop.768.5000.jpeg

http://www.kerguehennec.fr/parc-de-sculptures
Domaine de Kerguéhennec
Une propriété du Département du Morbihan
56500 Bignan
Tél. 02 97 60 31 84
www.kerguehennec.fr

Après plusieurs centaines de kilomètres, une dernière nuit d’attente à l’hôtel, mon chemin perdu puis retrouvé, me voilà enfin dans ce domaine caché au milieu de nulle part !

J’ai tout de suite aimé cet endroit! l'immense présence poétique qui se dégageait de ce lieu.

Comment tenter de vous définir ce qui, pour moi, fut une révélation ?

C’est à la fois très difficile et fascinant d’exprimer,cette émotion qui, semble-t-il, m’a bouleversée à jamais. Retrouver l'exaltation de ce moment, rechercher avec acharnement des détails dans cette mémoire qui me fait parfois défaut, vous confier la force exceptionnelle de cette journée qui est restée gravée en moi.
C’est enivrant de sentir à quel point certains artistes peuvent nous troubler.
Ressentir son cœur vibrer pour un travail plastique...
Il faisait très froid. Les routes étaient par endroit verglacées. Nous étions en décembre 2000.
Traquant à travers la forêt, cherchant, les yeux écarquillés, à l’affût de la moindre silhouette, je trépignais d’impatience à l’idée de cette rencontre.

Ce n’était pas un caprice, je désirais à tout prix voir cette œuvre. C'était décidé j'allais ce week-end partir à sa rencontre.

Peut-être que la magie de cette fin d’année me plongeait déjà dans une atmosphère propice à l’émerveillement.
Toujours est-il que j’ai replongé pour quelques instants dans le monde de l’enfance. Ce qui me rendait heureuse et impatiente.

J’avais attendu longtemps ce moment, fait de nombreuses recherches sur Internet qui n’avaient fait qu’augmenter ma frustration (il n’y avait presque rien en ligne : quelques bribes de texte et deux uniques photographies).

Un véritable cadeau allait enfin s’offrir à moi : j’allais "le" dé-couvrir, dans toute sa complétude.

Je ne me souviens plus vraiment à partir de quel moment j’ai pris connaissance de l’existence de cette œuvre J’ai certainement découvert cette création il y a une vingtaine d’années, mais à l’époque, elle ne m’avait pas attirée plus que cela...

J’ai retrouvé dernièrement quelques notes griffonnées de l’époque, sur une feuille de papier machine vieillie par le temps. Je n’en avais pas gardé le souvenir.
Alors pourquoi ? A partir de quand ce travail m’a-t-il réellement fascinée ?

Mes souvenirs sont très flous, comme embrumés.

Il me semble que le détonateur fut une conversation avec un ami, datant d’une bonne dizaine d’années en arrière. Cette discussion tournait vraisemblablement autour d’ une proposition de recherche sur « une œuvre qui contient du temps » .
Ainsi donc sommeillait en moi, depuis bien longtemps, cette création.
Cette longue maturation, tel un bourgeon en dormance prêt à éclore, a décuplé l'intensité de ce moment où j’allais pouvoir enfin lever le voile sur cette « femme ».

s'était enivrant de marcher dans sa direction: mes pas sur la terre durcie par la froideur de l'hiver, des feuilles piétinés au sol, des feuilles qui continuaient a tomber au moindre souffle de vent. Ce chemin, ces feuilles, cette terre, cette boue, l'humidité ambiante, ces arbres : dans ce lieu, tout étaient enchanteur et m'étourdissait !
Je suis particulièrement sensible aux ambiances, aux odeurs, ce sens pourtant défaillant chez moi.

Je m'avançais d'un pas enthousiaste...

Elle était là, devant moi! Je pouvais distinguer sa frêle silhouette au loin .Elle m'entraînait dans son sillage. Les traces de son passage pouvait se percevoir à travers quelques ondulations de cette matière ductile laissée par ses pas.
Ses pieds, ses jambes, ses bras, son corps, son visage (peut-être tout?) indiquaient son épuisement! On pouvait supposer la longue marche à travers ce bois qu'elle venait d'effectuer.
Plus je m'approchait et plus une tensions m'envahissait entre fascination et répulsion j'étais face à cette hybride : Fragile « chose humaine » écorchée !
Je scrutais dans les moindres détails sa peau en lambeaux, inévitablement patinée par le temps. Verdâtre, nervurée, ses veines paraissaient affleurer sa peau pétrifiée, renforçant le coté dramatique et émouvant de cette « être»
Je ne peux certes m'empêcher d'évoquer ici le mythe de Marsyas mais ce n'est pas la vision d'une dépouille vivante féminine qui m'est apparue à ce moment le plus éloquent. Bien au contraire plutôt la résurgence d'une nymphe; d'une très grande beauté: Daphné.
Je venait de revisiter une métamorphose d'Ovide ! Sa silhouette était figé dans un moment précis comme pétrifiée en cet instant où le mobile devient stabile. Elle ne sillait plus ...

« Mon père, je t'en supplie, viens à mon secours![...]A peine achevait-elle sa prière que Daphné sent ses membres s'engourdir; une fine écorce enveloppe sa poitrine délicate; ses cheveux se changent en feuillage, ses bras s'allongent en rameaux;ses pieds tout à l'heure si rapides, prennent racine et s'attachent à la terre... »
Cet environnement mythologique est pleinement perceptible chez Giuseppe Penone, je le savait mais ne l'avais pas pleinement ressenti avant ce sublime moment passé à contempler ce Sentier de charmes>
*Ovide, Les Métamorphoses, Livre1, traduit et adapté par Annie Collognat Le livre de poche jeunesse, 2007

Cet environnement mythologique est pleinement perceptible chez Giuseppe Penone, je le savait mais ne l'avais pas pleinement ressenti avant ce sublime moment passé à contempler ce Sentier de charmes

  • Giuseppe Penone, Sentier de charmes, 1986 installation in situ au domaine de Kerguéhennec
    (Morbihan), 1986. Note : l’arbre initial a été changé, suite aux tempêtes de décembre 1999.
    Elle ne reposait pas sur un socle mais elle s'offrait à notre regard, au détour d'un chemin sous une allée de charmes, dans un endroit sombre(ce jours là), à même le sol tel un promeneur !
    Fascinée, je souhaitais sonder cette mystérieuse silhouette humaine en marche dans ce sentier boisé.
    Les révélations de l'artiste sur son travail, ses textes, ses dessins sont tout aussi attachants.
    « Les traces de pas sont figurés par deux rubans de bronze qui ondulent : quand le métal touche le sol, l'herbe ne pousse pas, et aux endroits où il se soulève, elle pousse. Si on enlève la sculpture, on obtient une trace semblable à la trace des pieds quand on marche dans les champs. C'est pour cela que j'ai appelé cette œuvre Sentier. Un sentier disparaît rapidement si on ne s'en sert pas, la végétation l'envahit et il n'existe plus. Figer dans le bronze cette action de la marche, du passage, c'était une façon de rappeler la présence humaine »

Troublée, je continuais à l'examiner, à toucher sa surface interne et externe pour tenter d'élucider ses secrets .
J'aimais le côté dramatique et émouvant de cette œuvre : la façon dont l'auteur lui avait insufflé la vie: en plantant en son creux cet arbre. C'est une vie de nature artistique que nous avons sous les yeux .C'est dans la forme évidée de son « corps d'amour », en son sein que pousse un arbre.
Je ne peux m'empêcher ici d'insister sur l'érotisme de cette sculpture. D'ailleurs cette érotisme se retrouve dans la conception même de l'enveloppe charnelle de ce corps.
Ce n'est que plus tard en lisant le livre de Catherine Grenier que je compris pourquoi la peau de cette sculpture était chargée d'une telle force émotionnelle.
Initié au début des années 1980 après les Gestes végétaux Penone réalise ses Sentiers (au nombre de 4) à partir d'un mannequin recouvert de terre sur lequel il imprime ses doigts masculin. Nous ne sommes pas très loin ici de Dibutade.
La trace de cette caresse, mémoire de boue est ensuite moulée en bronze.
Le bronze qu'il affectionne particulièrement et dont il sait si bien nous dévoiler l'alchimie.

« Nous admirons le paysage de la patine de bronze qui n'est ni rouille
ni couleur mais qui suinte du métal avec la même fraicheur naturelle
que les verts, les gris, les rouges des mousses et des feuillages de la forêt;
voilà la patine du bronze!
le bronze, avec une grande facilité, traduit, fossilise le végétal,
le geste de sa croissance et les couleurs de ces humeurs,
il subit les éléments de l'air, la pluie, le vent, la chaleur du soleil,
le froid, la gelée, dont, comme pour les végétaux, sa couleur est faite.
L'air dense et compact en perpétuelle tension, mordant et subtil,
pénètre dans le bronze, le corrompt, le comprime, le fait fleurir,
et la splendeur brillante du paysage apparaît,
la verte synthèse du paysage »
PENONE Giuseppe, Respirer l'ombre, Editions Beaux-Arts de Paris, Condé-sur-Noireau décembre 2008, p.175.

Du temps, il m'en avait fallu, avant de voir cet événement qui rompt avec l'idée que nous nous faisons de la sculpture.
J'insiste vraiment sur ce mot « évènement » car il évoque a lui seul plusieurs idées inhérentes à l'œuvre :
Ne serait-elle pas associée à l'idée de naissance ?
Ne serait -elle pas associée par ambivalence à l'idée de mort de souffrance ?
Cette création est effrontément « dualité » : pérenne ou éphémère ?
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Ma réflexion oscillait entre une idée et une autre comme un balancier ou mieux encore comme un métronome !
Le temps était ici largement convoqué par l'artiste et je savais pertinemment à cet instant précis, que le temps de cette journée ou même d'une autre, si j'avais pu prolonger mon séjour à Bignan n'allait pas me suffire pour admirer l'évolution de cette événement. Il me faudrait plusieurs visites espacées dans le temps, pour jouir de ces changements.
Cette œuvre abandonnée volontairement au hasards des saisons et du temps par l'artiste sous des apparences immuables, était promise à évoluer, l'arbre vas continuer de croître. Le végétal grandira certainement, se développera progressivement. Mais jusqu'à quel point? Qu'adviendra -t'-il de cette œuvre en devenir?
La peau de bronze va-t'-elle englober, absorber, contourner, éclater ce charme ?
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Cette œuvre avait indéfiniment quelque chose d'intrigant, ces traces de bronze ondoyant au sol attestant d'un passage à travers les feuilles mortes laissaient une empreinte inaltérable.
Indélébile sur le sol et dans ma mémoire !
Le vide du corps allait certainement devenir plein !
Ce qui me fascinait dans cette entrevue, c'est que « tout » n'était pas lisible immédiatement. Qu'il me faudrait encore la rencontrer, attendre des années. Un lien invisible presque éternel d'une grande puissance, était noué.

En attendant, patiente, j'imagine secrètement encore cette matière végétale devenir créature...

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