Des travaux au Mont Saint Michel?
C'est un dossier que je connais bien. Le dessous des cartes surtout. Et pour cause, je vais être l'Expert Judiciaire tout au long de ces travaux, et l'histoire ne manque pas de sel. Avec un budget initial de 500 millions d'euros, l'idée originelle est de désenvaser le Mont Saint Michel et de chasser naturellement les sédiments convoyés par le Couesnon, une petite rivière qui fixe la limite entre les deux régions "ennemies" : la Normandie et la Bretagne.
C'est une première mondiale car tout le projet repose sur des théories. Sur le papier l'idée n'est pas saugrenue. Au début du siècle dernier, une route a été construite pour relier le Mont à la Baie et cet édifice va modifier profondément l'écoulement naturel de la petite rivière. D'années en années, les sédiments se sont accumulés et la route a fait un barrage naturel. La phase visible de l'iceberg, c'est bien entendu l'envasement du Mont. Mais effet pervers, les sédiments ont aussi réduits la puissance du petit cours d'eau, de sorte que la situation devenait catastrophique.
Il y a donc quinze ans, l'Etat a imaginé une solution. L'idée générale doit se dérouler en deux phases : curer le Couesnon et mettre en place un barrage pour augmenter le volume d'eau à rejeter et donc créer un effet de chasse (oui oui comme une chasse d'eau). La deuxième partie consiste à supprimer la route et mettre en place une passerelle sur pilotis qui permette aux eaux de circuler normalement et d'envoyer les sédiments au delà du Mont saint Michel.
Des études de faisabilité sont donc réalisées par l'Etat et le projet très prometteur. Ce pôle touristique majeur est donc totalement repensé, avec des parkings dans la Baie et des navettes pour charrier (il n'y a pas d'autres termes) le flot de touristes jusque cette petite abbaye insulaire. Mais l'Etat n'a plus de sous... Et sous couvert de décentralisation, il va confier aux régions le soin de s'en occuper et surtout de la financer. Le début des emmerdes commence. Il y a huit ans.
Un projet qui s'envase...
Les deux régions ont le plus grand mal à s'accorder sur le financement du titanesque projet et une solution retenue sera de confier une partie des travaux à Vinci en contre partie d'une concession sur les parkings. Sur le papier, c'est un peu le même principe qu'une autoroute et cela doit fonctionner. A condition que les touristes continuent de venir en masse et s'empressent de débourser quelques euros alors que c'était gratuit avant... Comme tous les grands groupes de BTP, Vinci va imposer un montant de réserve, c'est à dire que si les touristes ne sont pas aussi présents que prévu, la collectivité règle la différence. Dans cette affaire, Vinci ne prend donc aucun risque. Mais la collectivité n'en a que faire, rien n'est trop beau et tous les travaux démarrent dans la presque joie et allégresse!
Cette joie va hélas être de courte durée car le syndicat n'a pas les compétences suffisantes pour mener un tel projet et s'appuie uniquement sur les études préliminaires (et donc insuffisantes) que l'Etat avait réalisées. Bien évidemment, les entreprises vont s'en donner à coeur joie et réaliser des plus values colossales. Siphonnant ainsi les caisses du syndicat à vitesse grand V. Au milieu du gué, le syndicat va commencer à réagir et chercher par tout moyen de payer le moins possible les entreprises et diminuer le prix des parkings qui restent désespérément vides! Vinci va donc réclamer son dû et très logiquement gagné tous les procès. C'est le début de la déroute d'un naufrage annoncé. Dans le même temps, le syndicat tente de ne pas payer tous les travaux en estimant que les entreprises se sont beaucoup trop gavées. Et C'est dans ce contexte que je suis intervenu à la demande du Tribunal Administratif.
La procédure va durer 18 mois. L'affaire dont je vais m'occuper est la suivante : pour installer la passerelle, il a été mis en place 142 poteaux qui senfoncent dans la mer jusqu'au rocher. Les études préliminaires ne sont pas favorables et il existe de très grosses incertitudes sur les profondeurs à mettre en jeu. A 600 euros le mètre linéaire, on comprend bien que 20 mètres ou 40 mètres sur 142 poteauxx, cela change un peu la donne. Le syndicat ayant toutes les études à sa charge aurait dû commander d'autres sondages pour affiner la mise en oeuvre. Il ne le fera pas. Bien entendu, l'entreprise spécialisée dans le domaine a vu le pot aux roses et se réjouit de facturer 20 mètres de plus, lesquels ne sont probablement pas nécessaires.
Le chantier commence donc sur les mauvaises bases, quant à mi parcours, le syndicat fait réaliser un sondage pour se rendre compte que les surprofondeurs ne sont pas forcément nécessaires. Mais dans le même temps, au lieu d'arrêter le chantier et de remettre tout à plat, elle va intimer l'entreprise de continuer. Et parallèlement cesser de la payer. Avec en point d'orgue de demander au Tribunal qu'un Expert à postériori indique qu'elles étaient les profondeurs qui auraient dû mettre en oeuvre.
Mon raisonnement a été le suivant : on ne fait pas les études après un chantier mais avant. La responsabilité du Syndicat est seule engagée. Certes l'entreprise l'a vu, mais elle a respecté son marché à la lettre. Le syndicat nullement satisfait de ma position va se mettre à crier que je ne répondais pas à ma mission. alors je leur ai fait al proposition suivante : ok pour refaire tous les sondages, pieu par peu, mais pour cela j'amarre une barge à la passerelle, et je condamne tout accès au Mont saint Michel pendant trois mois. Personne n'a pris ce risque et pour cause. Bref, j'ai déposé mon rapport.
Le Tribunal en premier instance a condamné le syndicat mixte. La Cour d'appel en a remis une louche. Suivant dans les deux cas 100% de mes conclusions. Et les condamnations sont telles et en cascade que les deux régions envisagent la dissolution du Syndicat Mixte. L'affaire pourrait prêter à rire sauf que dans cette histoire, les vrais lésés sont les contribuables qui vont tout simplement casquer pour les insuffisances des pouvoirs publics.
Le Mont Saint Michel survivra t-il à son rétablissement maritime? Rien n'est certain. En tous les cas, les aménagements pharaoniques dysfonctionnent et les touristes boudent l'idée même du projet. L'une des merveilles du monde risque bien de devenir un des naufrages les plus importants...
A peine croyable! Quel gâchis et dire que c'est comme ça à tous les niveaux!
Ca me rappelle ce pont construit sur le canal de l'Ourcq à Meaux sans route rive droite ni rive gauche car construit au milieu d'un lotissement.
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