La journée de mercredi a été consacrée à l'audition des parties civiles. Le début de l'interrogatoire de l'accusé, écourté par un malaise, n'a pas permis de répondre à leurs nombreuses questions.
Son interrogatoire a commencé en début de soirée, après l’audition de sa belle-famille. Et il a rapidement tourné court. Après avoir présenté des excuses et répondu avec difficulté aux questions du président de la cour d’assises de la Haute-Saône, Jonathann Daval a fait un malaise dans le box, mercredi 18 novembre. Epilogue d’une journée difficile pour l’accusé, confronté aux témoignages des proches d’Alexia.
Les uns après les autres, ils ont déroulé à la barre le film de "vingt-neuf ans de bonheur, trois mois de tromperie et trois ans de douleur", comme l’a résumé ensuite le président de la cour. Tout commence le 18 février 1988 avec la naissance "à 20 heures" d’Alexia Fouillot à la maternité de Gray. Sa grande sœur Stéphanie a 5 ans, la famille vit dans un "quartier populaire" de cette petite ville, à une cinquantaine de kilomètres de Vesoul, où se tient le procès. Les deux fillettes grandissent dans "l’amour", l’enfance est "super heureuse" dans le lotissement "avec les copains". Leurs parents, "partis de rien" et qui ont "beaucoup travaillé", les gâtent.
Un tableau sans nuages
Chez les Fouillot, on est "très famille" et certains principes comptent. "Alexia avait cette dignité, la dignité dans notre famille, c’est une éducation", confie son père, ancien ouvrier chez Thomson, reconverti en patron de bar PMU et désormais à la retraite. "On l’a fait grandir dans des valeurs, on lui a fait faire de belles études, on voulait que ce soit une femme libre qui trouve sa voie, qui soit autonome et qu’elle ait une vie qu’elle souhaite avoir", appuie sa mère, qui travaillait aux côtés de son mari.
La rencontre d’Alexia avec Jonathann Daval à l’âge de 16 ans − lui en a 21 − est une touche de couleur supplémentaire sur ce tableau sans nuages. C’était "un bonheur immense pendant toutes ces années vécues avec Jonathann sans heurts, sans problèmes", lit Jean-Pierre Fouillot, une feuille sous les yeux. "Elle a choisi Jonathann, elle est tombée amoureuse, au fil du temps, on a vu qu’il se créait une relation entre eux", confirme Isabelle Fouillot, dont le carré blond impeccable rappelle celui de sa fille. Pour preuve de cet amour porté par Alexia à son compagnon, sa mère a apporté une carte postale écrite à son "Valentin" après "huit ans" de relation. Elle parle de lui comme "un être atypique, aussi gentil que diablotin", son "ami, amant et confident", "indispensable pour faire tourner (sa) Terre”. A la lecture de ses mots, l’accusé verse des larmes.
"Est-ce que ce sont les mots d’une personne agressive, qui fait des crises ?", lance la mère d’Alexia à son ancien gendre. Devant les jurés, la famille de la victime s’attache à déconstruire le portrait d’une "femme castratrice" à la "personnalité écrasante" brossé par la défense.
C’était une jeune fille avec d’énormes qualités, notre lumière, notre joie de vivre. Malheureusement, Jonathann nous a éteint la lumière du bonheur, de la sérénité, nous sommes désormais en mode veilleuse.
Jean-Pierre Fouillot, le père d’Alexia devant la cour d’assises de la Haute-Saône
Avant cette fameuse nuit du 27 au 28 octobre 2017, rien ne transparaît des difficultés du couple. Jonathann et Alexia vivent dans une "maison jumelée" à celle des parents Fouillot, ils prennent l’apéro tous les quatre chaque dimanche soir. Quand ils décident de racheter la maison des grands-parents d’Alexia, ils vivent même pendant un an sous le même toit, le temps des travaux. Incarnation de ce bonheur, le chaton du couple est baptisé "Happy". Comme dans une boule à neige, la photo est idéale, tant qu’on ne la secoue pas trop. Selon Jonathann Daval, c’est à ce moment-là que leurs problèmes sexuels débutent. Sa femme est gênée par la proximité de la chambre de ses parents, lui finit par développer un blocage.
"Notre gamin"
"On nous reproche même ses problèmes d’érection, balaie Jean-Pierre Fouillot. On était très occupés par notre travail. Ce que je regretterai toujours, c’est de n’avoir rien pu déceler", souffle-t-il. Du fait de cette "proximité", Jonathann Daval devient le troisième enfant de la famille, "notre gamin". Ce fils d’adoption, dont les propres parents ont divorcé très tôt et qui a perdu son père biologique à l’âge de 12 ans, appelle sa belle-mère "maman". "Ce n’est pas commun. Est-ce qu’il n’est pas, à un moment, tombé amoureux de votre famille ?", relève Me Randall Schwerdorffer, l’avocat de la défense. "Je pensais qu’il n’avait pas d’autre maman que moi", admet Isabelle Fouillot. Une "confusion" des places et des rôles qu’elle attribue à Jonathann Daval. "Il nous disait tellement qu’il n’avait pas de famille."
Avec le recul et les éléments de l’enquête, les proches d’Alexia constatent que les mensonges de ce mari "aux petits soins" et si "serviable" avaient commencé plusieurs mois avant le meurtre. Cette mère dont il se plaint, qu’il dépeint comme une "femme méchante", "toujours à se mêler de ce qui ne la regarde pas", il va la voir en cachette. Au point de sécher des rendez-vous professionnels pour, prétend-il auprès de son employeur, utiliser une machine à “respirer” installée chez sa mère. Selon la sœur d’Alexia, cet asthmatique invoque pourtant son travail quand il doit justifier ses retards, ses absences aux consultations de sa femme pour la procréation médicalement assistée, pour la signature de la maison ou l’achat du parquet.
Le mensonge c’était un art de vivre chez Jonathann. On découvre que c’est un caméléon, il offre à chacun le visage qu’il attend de lui.
Stéphanie, la soeur d'Alexia
Stéphanie date "cette fuite en avant de l’accusé" du mariage, et surtout du désir d’enfant de sa sœur. "Je crois que l’enfant, ce n’est pas envisageable quand on n’a pas grandi soi même. Alors on retourne chez sa maman." Un syndrome de Peter Pan pour ce trentenaire qui ne semble pas vieillir et a toujours l’allure d’un "garçon", comme le décrit son avocat.
"C’est resté un gamin", "il n’a pas coupé le cordon ombilical", disent d’une même voix les parents d’Alexia. Isabelle Fouillot émet "deux hypothèses" devant la cour, qui n’en forment qu’une seule : "Tu ne veux pas d’enfant, parce que l’enfant c’est toi" mais "tu es incapable de divorcer" car tu "perds le tout", "tout ce qu’on t’a apporté, tout l’amour qu’on t’a donné". Un scénario inextricable qui trouve une issue, selon elle, dans la mort d’Alexia. "Tu es un veuf éploré, comme un coq en pâte dans cette maisonnette. Tu nous gardais, tu devenais notre fils."
Jonathann Daval gardera ce statut et cette place privilégiée dans le cœur de ses beaux-parents jusqu’à ses aveux en garde à vue. Et même au-delà. "C’est dur de désaimer quelqu’un", admet Isabelle Fouillot. Le jour de la confrontation, où il reconnaît de nouveau être l’auteur du meurtre après avoir accusé sa belle-famille pendant six mois, son beau-père le serre dans ses bras. Le jour de la reconstitution, alors que Jean-Pierre Fouillot vient d’assister à "la mise à mort de sa fille", il demande à converser avec son gendre. "Vous avez dit à Jonathann ‘je ne te prends pas dans les bras par amour et par respect pour Alexia, mais sache que je t'aime toujours', lui rappelle Me Ornella Spatafora. Et aujourd’hui ?", l’interroge l’avocate de la défense. "A l’heure d’aujourd’hui, je serai loin de lui redire les mêmes mots", répond le père de la victime, qui demande "la perpétuité" pour l’accusé."
"Que se serait-il passé si Jonathann vous avait appelé après avoir tué Alexia ?”, insiste Me Randall Scwherdorffer. "On aurait peut-être réagi autrement, suppose Jean-Pierre Fouillot. Mais là, c’est le massacre d’un corps et tout le scénario derrière, meilleur acteur, meilleur scénariste. Mais au bout du film, il y avait marqué ‘fin’ et ça il n’y avait pas pensé.” La fin de l’histoire s’écrit devant la cour d’assises. L’interrogatoire de Jonathann Daval doit reprendre jeudi matin s’il est en état de comparaître. Ses premières explications, sommaires et laborieuses, ont donné un aperçu vertigineux du gouffre qui sépare les attentes des parties civiles de ses capacités à y répondre.