Expert Judiciaire??? Allez viens je t'explique! (épisode 2)

in fr •  7 years ago  (edited)

Après t’avoir expliqué ce qu’est un Expert Judiciaire dans l'épisode 1 , je vais maintenant t’expliquer comment se déroule une expertise judiciaire. Déjà, je vais apporter une ou deux précisions : d’abord je vais parler d’expertise civile (en prenant l’exemple d’un problème en matière de construction) et en me basant sur une expérience de 10 années et 450 missions au compteur.

Le déroulement d’une expertise judiciaire


Je te l’ai déjà dit, la pratique de l’Expertise Judiciaire est très codifiée. Sans revenir sur les fondamentaux juridiques, la pratique n’échappe pas non plus à des règles de base :
  • convoquer les parties et leurs avocats
  • organiser une ou plusieurs réunions (le plus souvent sur site, ce qui parait logique en matière de construction puisqu’il va falloir évaluer les problèmes techniques)
  • prendre connaissance de toutes les déclarations écrites ou orales des parties (les parties s’expriment dans des « dires à l’Expert » et l’Expert répond par des « Notes aux Parties ».)
  • proposer une synthèse des opérations dans ce que l’on appelle un pré-rapport.
  • écrire le rapport final et purger tous les dires (c’est à dire répondre point à point à toutes les observations des parties).
  • envoyer son mémoire d’honoraires au juge
  • procéder au recouvrement

Dans certains cas, l’Expert est amené à s’entourer d’un expert plus spécialisé que lui dans une autre discipline. On appelle ce co-expert un sapiteur (du latin sapere : savoir). Prenons un exemple concret : j’ai un bâtiment d’élevage bovin qui présente des problèmes de toiture et qui a des conséquences sur les vaches. Dans ce cas, je prends un sapiteur vétérinaire qui va évaluer l’impact sur les bestioles. Je peux également faire faire des mesures par un spécialiste car je ne dispose pas de l’équipement nécessaire. Prenons l’exemple d’un acousticien qui va faire des mesures d’impact. Mon rôle in fine est de compiler le tout.


Demandeur ou défendeur?


Les parties sont soit en demande soit en défense. Et de suite, les choses doivent être claires. En défense ne veut pas dire automatiquement responsable. Le juge qui désigne un Expert va procéder à deux analyses :
  • la recevabilité du demandeur : pourquoi y a t-il un intérêt à une mesure d’expertise? Et dans ce cas, il y a intérêt à commencer à montrer les choses de façon établies (constat d’huissier, rapport d’expertises privées etc…).
  • l’identification des défendeurs : ce n’est pas le juge qui va chercher les défendeurs. Ils sont désignés par le demandeur. Je rappelle qu’en matière civile, le procès est le procès des parties! Le juge va donc confirmer que telle ou telle partie est concernée (donc attrait à la procédure). En aucun cas, cela doit être interprété comme une reconnaissance de responsabilité et pour cause : le juge laisse la possibilité à chacun de s’exprimer au cours de l’Expertise. Ce n’est qu’ultérieurement que tombera l’éventuel couperet. Il est donc fréquent de se retrouver en défense sans aucune responsabilité in fine.


    Dans de nombreux cas, j’ai vu des demandeurs trop investis dans leurs dossiers. Confondant les faits réels avec l’aspect passionné de leur affaire, ils peuvent également ne pas avoir appréhender les choses avec réalisme. J’y reviendrai mais là le rôle d’un avocat (pas toujours obligatoire) est pourtant primordial. Je ne compte plus les dossiers où les faits sont sans rapport avec la réalité sur site : un banal conflit de voisinage qui tourne à la procédure judiciaire pour une connerie (un prétexte en clair). Et je te passe les dossiers où il n’y a même pas de problème! Soyons franc, l’essentiel de mes dossiers ont une substance bien réelle et même parfois dramatique.


    En défense, le constat n’est guère mieux. De nombreuses personnes paniquent en Expertise Judiciaire. Ils se voient déjà condamnés… ou ne comprennent pas les enjeux du procès. De nouveau, je recommande d’avoir un avocat. Bien souvent, les défenseurs sont insuffisamment préparés et nous racontent de bonne foi les choses… à leur détriment. Voir à l’inverse, se taisent et modifient le cours des choses, avec un sentiment d’injustice.


    Là aussi, il convient d’être pratique sinon pragmatique. L’Expert Judiciaire n’est pas un dieu ni une voyante. Il n’est donc pas infaillible surtout quand on lui présente mal les choses. Alors certes, plus on a vu de dossiers, plus on a d’expérience pour détecter des problèmes mais la nature humaine très inventive fait que la variété est notre quotidien et qu’il est possible de se tromper.


    J’ai souvenir d’une affaire où une maison comportait de nombreuses malfaçons grossières et les entreprises avaient toute abandonné le chantier. Un peu incompréhensible au départ, l’architecte jurait ses grands dieux qu’il n’y était pour rien et avait tout fait dans l’intérêt de ses clients, lesquels d’ailleurs en étaient convaincus et ne lui en voulaient pas. Dans cette affaire, j’ai eu le sentiment immédiatement qu’on ne m’avait pas tout dit. J’ai donc laissé du temps et organiser plusieurs réunions avec à chaque fois des questions thématiques. A la troisième réunion, une des entreprises a fini par balancer le pot aux roses. L’architecte validait des fausses situations (ça je m’en étais rendu compte) et les entreprises étaient payées, moyennant bien évidemment sa commission au passage (non négligeable en plus) que l’architecte facturait officiellement!!! Forcément, les petites entreprises souvent déjà mal en point finissaient toutes en dépôt de bilan… et la maison restait inachevée alors que quasiment payée à 100%. De façon juteuse pour l’architecte qui facturait des deux côtés, le plus illégalement du monde. Cette affaire assez charismatique montre bien qu’il ne faut pas tout prendre pour argent comptant et c’est à l’Expert Judiciaire d’y veiller au mieux. Cet architecte, vous lui auriez donné le bon dieu sans confession. Concrètement, mon rapport a filé directement chez le procureur et il a été condamné pour escroquerie et radié de l’ordre des architectes. Si je m’étais limité à une seule réunion, il continuerait bien gentiment ses forfaits.


    Vous l’aurez compris : une expertise judiciaire se travaille qu’on soit en demande ou en défense. Car rien n’est joué avant le dépôt d’un rapport. J’ai un souvenir très marquant au tout début de ma carrière. Le dossier en question était porté par une femme médecin, vivant à Paris et qui avait une maison du côté de Deauville. Elle avait pris une architecte d’intérieur pour faire des travaux d’aménagements. A la fin de mes constats, je m’étais rendu compte que la petite dame avait envoyé les entreprises et l’architecte dans un mur… c’est à dire que sous prétexte de faire quelques embellissements pour 20,000 euros, à la finale, il fallait reconstruire toute la maison pour plus de 180,000 euros. La petite maline avait pris soin de ne prendre que des entreprises avec de bonnes assurances. Mon pré-rapport l’accablait mais elle ne s’est pas démontée et a pris un avocat redoutable. Devant rester uniquement sur les faits et de la technique, j’ai été contraint de lui donner raison car en défense personne ne se sentait concerné et se murait dans un silence bêtement accablant. Son avocat lui ne m‘a rien lâché même si il savait que j’avais raison. Il a fait son boulot. Et nous allons en venir au rôle de l’avocat.


Alors avocat ou pas avocat?


Avant d’avoir la désignation d’un Expert Judiciaire, il faut avoir une décision judiciaire. La présence d’un avocat dépend du degré de juridiction. Devant les Tribunaux d’Instance, ce n’est pas obligatoire alors que si devant les Tribunaux de Grande Instance (pour les demandeurs). Une fois l’Expert Judiciaire désigné, l’assistance d’un avocat n’est absolument pas obligatoire quelque soit la juridiction. Ce point est essentiel. Pour autant, le rôle de l’avocat est primordial.

Certes, le recours à un avocat a un coût. Pour une part en matière civile, ces frais peuvent être pris en charge par votre protection juridique (dans votre assurance responsabilité civile) mais celle-ci est souvent de nos jours limitée. L’avocat est là pour vous aider dans la procédure que vous ignorez nécessairement et vous assister pour que les règles soient respectées. L’avocat est là aussi pour vous conseiller et interagir avec l’Expert Judiciaire.

En tant qu’Expert Judiciaire, je préfère les dossiers où il y a des avocats pour tout le monde. C’est plus facile et plus pratique car je suis certain que la procédure sera carrée. Par ailleurs, cela dépassionne beaucoup les débats et donc la mission se déroule souvent avec plus de sérénité. Bien entendu, comme partout, je ne vais pas vous dire qu’ils sont tous bons. A vous de bien le choisir, si possible dans le domaine de compétence visé et avec de solides références.
Si le recours a un avocat me semble une évidence, je vous recommande également de réfléchir à vous faire assister par un expert technique. Soit lui même judiciaire soit ayant une bonne connaissance de l’Expertise Judiciaire. Pourquoi?

L’avocat est avant tout un spécialiste du droit. Dans la partie strictement technique, il peut ne rien y connaître. Et donc soit se faire balader soit être inutile. Au contraire, l’Expert privé va vous apporter le conseil nécessaire sur les aspects techniques. Il est souvent l’interlocuteur privilégié de l’Expert Judiciaire car on parle le même langage.

La loi ne prévoit rien à ce sujet. Notamment, on peut s’opposer en tant qu’Expert Judiciaire a donner la parole à un confrère privé, mais dans les faits, on n’y a aucun intérêt tant qu’il reste dans son rôle. Il m’est arrivé d’en recadrer certains de façon très sèche en leur rappelant qu’ils n’étaient pas désignés dans le jugement (En clair: ta gueule) mais dans l’essentiel de mes dossiers, je rencontre fréquemment les mêmes et nous nous apprécions. Souvent, on chemine ensemble vers la conclusion, plus qu’avec les avocats.

Conclusion : pour bien préparer une expertise judiciaire, ce serait pour moi ceinture, bretelles et velcro. Avocat + expert technique. Mais cela ne dépend que de votre capacité à payer tout ce petit monde. Nous allons y venir.

Vous voilà mieux préparer à une expertise Judiciaire? Dans le troisième épisode, j’évoquerai la qualité d’un Expert Judiciaire et le coût à prévoir car celui-ci n’est pas négligeable. Ca t’as plu? Tu connais la musique : upvote et resteem!


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Très intéressant.
Ça doit être un métier passionnant où se mélange des connaissances solides et un aspect relationnel particulier !
Hâte de découvrir la suite !
A bientôt :)

Expert judiciary..i salute

Assez compliqué tout ça au final. Comment vous devenez expert dans un domaine ou dans l'autre?

@cryptohazard je l'expliquerai dans le 4ème épisode :-)

J'allais demander: comment es-tu devenu Expert Judiciaire en construction?

Mais je vois que tu nous expliqueras tout cela dans le 4ème épisode.

oui :-) car j'y suis arrivé par hasard... et je l'explique dans le 4ème opus, ce n'est pas le schéma traditionnel ;-)

Nice information..Mr.vincentleroy

Bonsoir Vincent, tu parles de droits civils et ensuite de plusieurs instances, je n'y connais pas grand chose en droit..^^ Je voudrais s'il y a expertise juridique en affaire pénale ? Merci, 😊 Je vais lire la suite, merci beaucoup pour tes articles francs :)