Expert Judiciaire??? Allez viens je t'explique! (épisode 3)

Après t’avoir expliqué ce qu’est un Expert Judiciaire dans l'épisode 1 et le déroulement d'une Expertise Judiciaire dans l'épisode 2, venons en à deux sujets pratiques : comment gérer un Expert Judiciaire et combien ça coute tout ça? Parce que ne vous faites pas d’illusions, tout cela a un coût. J’en reparlerai dans le 4ème épisode en poussant le raisonnement plus loin.

Vous l’aurez compris ou découvert, l’expertise judiciaire se décompose en deux temps forts : les réunions et la partie rédactionnelle. Je vous fais grâce de la partie administrative à ce stade. Ces deux temps forts nécessitent des compétences différentes et qui ne sont pas données à tout le monde. La désignation d’un Expert Judiciaire n’emporte hélas pas la maitrise de ces deux domaines.

Un expert judiciaire pendant une réunion descend dans l’arène au sens littéral du terme. Il « débarque » dans un dossier qui n’est pas le sien et qui ne doit en aucun cas devenir le sien. Il lui faut gérer l’affectivité excessive des parties (c’est mon procès et j’ai forcément raison puisque l’autre est un salaud) et gérer les avocats. Chaque cas étant différent, il faut arriver sans idée préconçue et avoir du répondant tout en écoutant tout le monde. Une main de fer dans un gant de velours comme dit l’expression. Mais ça c’est ma conception du métier. Dans la majorité des cas, l’Expert Judiciaire va rester taisant, limite timoré se retranchant derrière son statut que les avocats vont protéger. Vous ne connaitrez donc pas son opinion et à tout le moins méfiez-vous de ce que l’on appelle les impressions d’audience. A ce stade, vous ne savez pas ce que l’Expert va écrire et seul ce qu’il écrit compte.

Dans cette phase là, il faut rester zen. Eviter à tout prix les emportements sans intérêt. Cela n’a aucun effet sur l’Expert, voir pire, cela peut être totalement contreproductif. Il faut au contraire classer les choses par ordre d’importance d’où l’intérêt pour les demandeurs d’avoir bien préparé le dossier en amont. Et éviter les détails sans importance. C’est assez fréquent d’avoir des demandeurs qui sont plus excités par les microfissures de leur enduit (que l’on ne retient jamais car trop faible) alors qu’ils n’ont pas d’isolant dans leurs combles…

En défense, ne pas rester muet. Si bien évidemment, il vaut mieux éviter d’avouer qu’on est responsable d’une des conneries, il va sans dire que quand on est pas impliqué, il faut le faire remarquer posément. Le faire constater quoi.

Avant de passer à l’analyse de la phase écrite, je vais juste rappeler un fondamental souvent méconnu du public. Pour la majorité d’entre vous, vous avez une garantie décennale. Fort de cela, vous êtes certains d’avoir un payeur. Et bien non! Nous allons tordre le cou à cette idée reçue. La décennale ne concerne que le « clos et couvert » et les « organes faisant corps avec l’ouvrage ». Les enduits et les peintures ou tout désordre de nature esthétique ne rentrent pas dans la décennale!

La deuxième phase d’une expertise est donc la phase écrite ou rédactionnelle. Là aussi, tout le monde ne sait pas faire. La disparité d’un expert judiciaire à l’autre est criante. Une bonne partie se contente de poser les constats sans grande analyse et sans aucune synthèse. C’est souvent déroutant. Mais rassurez-vous, c’est surtout inexploitable pour un magistrat. Comme on manque d’Expert Judiciaire, du moment que vous respectez la procédure, l’institution se moque de la qualité. Cela peut vous paraitre surréaliste mais nous ne sommes absolument pas jugés là dessus.

Le rôle de l’avocat va donc être essentiel car il va falloir pousser l’Expert à aller plus loin.

Vous l’aurez compris, je ne suis pas très tendre avec certain de mes confrères. Etre compétent ou un spécialiste d’un domaine technique ne fait pas de vous automatiquement un bon expert judiciaire. Et je vous expliquerai dans le dernier volet pourquoi. Toujours est-il qu’il faut appréhender tous ces éléments avant de se lancer dans une expertise ou de la subir.

Vous l’aurez bien compris, nous allons parler des choses qui fâchent. Commençons par les délais. Jugés trop longs pour les justiciables, c’est un fait mais il faut distinguer le temps de la procédure et l’inertie d’un Expert.

Une affaire express, c’est à dire une réunion, un pré-rapport direct et un rapport dans la foulée, c’est six mois de base incompressibles. Vous allez me dire : six mois??? Mais pourquoi? Tout simplement parce que le temps que le Tribunal nous envoie tout y compris l’autorisation de démarrer, c’est déjà un mois ou deux. Ensuite, il doit se passer 4 à 6 semaines entre chaque acte. Faites le calcul. On approche les six mois. Autant vous dire qu’au moindre acte de procédure supplémentaire, les délais explosent. La mise en cause d’une nouvelle partie découverte à l’occasion d’une réunion, c’est 4 mois minimum avant d’avoir un jugement permettant de continuer. Cette phase là peut paraître interminable mais l’Expert Judiciaire n’y est pour rien.

Il y a ensuite l’inertie de l’Expert. Là c’est très variable d’un expert à l’autre. On comprend bien que l’Expert Judiciaire qui traite deux ou trois affaires par an n’est pas débordé. il va donc en général très vite. Dans un cabinet comme le mien, j’ai eu jusque 60 dossiers en cours! Et donc les délais d’écriture s’en ressentent nécessairement. Raison pour laquelle je suis revenu à 30 dossiers en cours. La moyenne nationale d’une expertise judiciaire est de 27 mois. Cela est long et il va falloir s’armer de patience.

Si l’Expert Judiciaire est particulièrement long, il existe néanmoins des voies pour le rappeler à l’ordre. En premier lieu, l’avocat peut l’interroger. Dans un deuxième temps, il peut saisir le magistrat chargé du suivi qui forcément en retour adresse un courrier désagréable à l’expert… Et quand cela ne suffit plus, l’institution le remplace. (on est donc reparti pour un tour).

Les délais sont une chose. Mais quid du coût? Ah bah oui tout cela coûte. Et coûte cher même. Il faut être certain de pouvoir suivre, ce d’autant qu’en matière civile, le code de procédure est très clair: c’est le demandeur qui pré finance tout.

La moyenne nationale d’une expertise judiciaire en bâtiment pour le seul expert est de 4700 euros TTC. Et oublier l’idée de ne pas le régler. Le système est très bien fait. Le Tribunal va vous demander des avances régulièrement pour couvrir les frais de l’Expert. Et c’est le Tribunal qui va lui envoyer l’argent (ce qui explique que l’on ait très peu de problème en matière de règlement).

4700 euros est donc une moyenne sans acte complémentaire, c’est à dire l’intervention d’un sapiteur ou d’une entreprise pour mener des investigations. J’ai vu dans certains dossiers des frais annexes montés à plus de 35,000 euros. Avec pour effet que comme les justiciables ne les ont pas, l’affaire s’arrête… Je reviendrai en profondeur sur ce sujet dans le 4ème et dernier épisode.

Pour conclure cet épisode très pratico pratique, il faut quand même savoir que si vous avez raison, tous les frais de l’Expertise vous seront remboursés. Mais et j’insiste bien là dessus, pour être remboursés, il faut soit un accord des parties avant jugement ou alors faire une procédure au fond. En clair ne pas être pressé même si vous serez remboursés.

Vous pourriez me dire : intéressant tout cela, beaucoup de moyennes, et toi, tu te situes où là dedans? Ma moyenne d’honoraires est de 3700 euros TTC avec une moyenne d’exécution de 14 mois. C’est pour ça que je suis bien vu par les magistrats, rapide, pas trop cher et des dossiers sans emmerdes.

Ce 3ème épisode se termine en préfigurant le 4ème : comment devenir Expert Judiciaire et mes considérations personnelles sur l’avenir de ce domaine. Avec ça, vous saurez presque tout!